Dokumentation Gesangstexte
Salomé op. 54
Französische Fassung

relevant für die veröffentlichten Bände: I/3b Salome (Weitere Fassungen)
Edierter Gesangstext
Première Scène
Une grande terrasse dans le palais d’Hérode donnant sur la salle de festin. Des soldats sont accoudés sur le balcon. A droite, il y a un énorme escalier. A gauche, au fond, une ancienne citerne entourée d’un mur de bronze vert. Clair de lune.
(Rideau)
Narraboth
Comme la princesse Salomé est belle ce soir !
Le Page d’Hérodias
Regardez la lune. La lune a l’air très étrange. On dirait une femme qui sort d’un tombeau.
Narraboth
Elle a l’air très étrange. Elle ressemble à une princesse qui a des pieds comme des petites colombes blanches … On dirait qu’elle danse.
Page
Elle est comme une femme morte. Elle va très lentement.
(Bruit dans la salle de festin)
1er Soldat
Quel vacarme ! Qui sont ces bêtes fauves qui hurlent ?
2d Soldat
Les Juifs. Ils sont toujours ainsi. C’est sur leur religion qu’ils discutent.
1er Soldat
Je trouve que c’est ridicule de discuter sur de telles choses.
Narraboth
Qu’elle est belle, la princesse Salomé[,] ce soir. Qu’elle est belle !
Page
(inquièt)
Vous la regardez toujours. Vous la regardez trop ! Il ne faut pas regarder les gens de cette façon. Il peut arriver un malheur.
Narraboth
Elle est très belle ce soir.
1er Soldat
Le tétrarque a l’air très sombre.
2d Soldat
Oui, il a l’air sombre.
1er Soldat
Qui regarde-t-il ?
2d Soldat
Je ne sais pas.
Narraboth
Comme la princesse est pâle. Jamais je ne l’ai vue si pâle. Elle ressemble au reflet d’une rose blanche dans un miroir d’argent.
Page
(très inquièt)
Il ne faut pas la regarder. Vous la regardez trop. Je vous prie de ne pas la regarder.
Voix d’Iokanaan
(dans la citerne)
Après moi viendra un autre encore plus puissant que moi. Je ne suis pas digne même de délier la courroie de ses sandales. Quand il viendra[,] la terre déserte se réjouira. Quand il viendra, les yeux des aveugles verront le jour. Quand il viendra[,] les oreilles des sourds seront ouvertes.
2d Soldat
Faites-le taire.
1er Soldat
Mais non : c’est un saint homme.
2d Soldat
Il dit toujours des choses absurdes.
1er Soldat
Il est très doux. Chaque jour[,] je lui donne à manger ; il me remercie toujours.
Cappadocien
Qui est-ce ?
1er Soldat
C’est un prophète.
Cappadocien
Quel est son nom ?
1er Soldat
Iokanaan.
Cappadocien
D’où vient-il ?
1er Soldat
Du désert. Une grande foule de disciples le suivait.
Cappadocien
De quoi parle-t-il ?
1er Soldat
Il est impossible de le comprendre.
Cappadocien
Peut-on le voir ?
1er Soldat
Non. Le tétrarque ne le permet pas.
Narraboth
Mais la princesse se lève. Elle quitte la table. Elle a l’air très ennuyée ! Elle vient par ici.
Page
Ne la regardez pas.
Narraboth
Ah ! Elle vient par ici, vers nous !
Page
Je vous prie, ne la regardez trop.
Narraboth
Elle est comme une colombe qui s’est éga-
Deuxième Scène
(Entre Salomé)
-rée !
Salomé
Je ne resterai pas. Je ne peux pas rester. Pourquoi le tétrarque me regarde-t-il toujours avec ses yeux de taupe sous ses paupières tremblantes ? C’est étrange que le mari de ma mère me regarde comme cela. Comme l’air est frais ici. Enfin, ici on respire ! Là-dedans il y a des Juifs de Jérusalem qui se déchirent à cause de leurs ridicules cérémonies … Des Égyptiens subtils, silencieux … Des Romains avec leur lourdeur, leur brutalité, leurs gros mots. Ah ! que je déteste les Romains !
Page
(à Narraboth)
Oh ! Il va arriver un malheur. Pourquoi la regarder ?
Salomé
Que c’est bon de voir la lune. On dirait une toute petite fleur d’argent. Froide et chaste. Elle a la beauté d’une vierge … Je suis sûre qu’elle est vierge.
Voix d’Iokanaan
Il est venu, le Seigneur ! Il est venu[,] le fils de l’Homme.
Salomé
Qui a crié cela ?
2d Soldat
C’est le prophète, princesse.
Salomé
Ah ! le prophète. Celui dont le tétrarque a peur ?
2d Soldat
Nous ne savons rien de cela, princesse. C’est le prophète Iokanaan.
Narraboth
(à Salomé)
Voulez-vous que je commande votre litière, princesse ? Il fait très beau dans le jardin.
Salomé
Il dit des choses monstrueuses à propos de ma mère, n’est-ce pas ?
2d Soldat
Nous ne comprenons jamais ce qu’il dit, princesse.
Salomé
Oui, il dit des choses monstrueuses d’elle.
Un Esclave
(entrant)
Princesse, le tétrarque vous prie de retourner au festin.
Salomé
(impétueux)
Je n’y retournerai pas.
(L’esclave sort.)
Salomé
Est-ce un vieillard, le prophète ?
Narraboth
(insistant)
Princesse, il vaudrait mieux retourner. Permettez-moi de vous reconduire.
Salomé
Le prophète … est-ce un vieillard ?
1er Soldat
Non, princesse, c’est un tout jeune homme.
Voix d’Iokanaan
Ne te réjouis point, terre de Palestine, parce que la verge de celui qui te frappait a été brisée. Car de la race du serpent il sortira un basilic, et ce qui en naîtra dévorera les oiseaux.
Salomé
Quelle étrange voix. Je voudrais bien lui parler.
2d Soldat
Princesse, le tétrarque ne veut pas qu’on lui parle. Il a même défendu au grand-prêtre de lui parler.
Salomé
Je veux lui parler.
2d Soldat
C’est impossible, princesse.
Salomé
(toujours plus violent)
Je le veux. Faites sortir le prophète.
2d Soldat
Nous n’osons pas, princesse.
Salomé
(s’approchant de la citerne et y regardant)
Comme il fait noir là-dedans ! Cela doit être terrible d’être dans un trou si noir ! Cela ressemble à une tombe … (aux soldats, féroce) Vous ne m’avez pas entendue ? Faites-le sortir. Je veux le voir.
1er Soldat
Je vous prie, princesse, de ne pas nous demander cela.
Salomé
(regardant le jeune Syrien)
Ah !
Page
Oh ! qu’est-ce qui va arriver ? Je suis sûr qu’il va arriver un malheur.
Salomé
(s’approchant du jeune Syrien)
(parlant doucement et avec une grande vivacité)
Vous ferez cela pour moi, pour moi, n’est-ce pas, Narraboth ? Pour vous[,] j’ai toujours été très douce. Vous ferez cela pour moi. Je veux seulement le regarder[,] cet étrange prophète. On a tant parlé de lui. Je pense qu’il a peur de lui, le tétrarque.
Narraboth
Le tétrarque a formellement défendu qu’on lève le couvercle de ce puits.
Salomé
Vous ferez cela pour moi, Narraboth, (très vite) et demain, quand je passerai dans ma litière sous la porte des vendeurs d’idoles, (toujours à voix basse) je laisserai tomber pour vous une petite fleur, une petite fleur verte.
Narraboth
Princesse, je ne peux pas, je ne peux pas.
Salomé
(souriant)
Vous ferez cela pour moi, Narraboth. (plus décidément) Vous savez bien que vous ferez cela pour moi. Et demain je vous regarderai à travers les voiles de mousseline, Narraboth, je vous regarderai, peut-être je vous sourirai, je vous sourirai. Narraboth, regardez-moi ! Ah ! vous savez bien que vous allez faire ce que je vous demande. Vous le savez bien. Moi, je le sais bien.
Narraboth
(faisant un signe au second soldat)
Faites sortir le prophète … La princesse Salomé veut le voir.
Salomé
Ah !
(Le prophète sort de la citerne.)
Troisième Scène
(Salomé le regarde et recule.)
Iokanaan
(fort)
Où est celui dont la coupe d’abominations est déjà pleine ? Où est celui qui en robe d’argent mourra un jour devant tout le peuple ? Dites-lui de venir afin qu’il puisse entendre la voix de celui qui a crié dans les déserts et dans les palais des rois.
Salomé
De qui parle-t-il ?
Narraboth
On ne sait jamais, princesse.
Iokanaan
Où est celle[,] ayant vu des hommes peints sur la muraille, qui s’est laissée emporter à la concupiscence de ses yeux et a envoyé des ambassadeurs en Chaldée ?
Salomé
(sotto voce)
C’est de ma mère qu’il parle.
Narraboth
Mais non, princesse.
Salomé
(languissante)
Si, c’est de ma mère.
Iokanaan
Où est celle qui s’est abandonnée aux capitaines des Assyriens ? Où est celle qui s’est abandonnée aux jeunes hommes d’Égypte qui sont vêtus de linge et d’hyacinthe et portent des boucliers d’or et des casques d’argent et qui ont de grands corps. Dites-lui de se lever de la couche de son impudicité, de sa couche incestueuse, afin qu’elle puisse entendre les paroles de celui qui prépare la voie du Seigneur ; afin qu’elle se repente de ses péchés. Quoiqu’elle ne se repentira jamais[,] dites-lui de venir, car le Seigneur a son fléau dans la main.
Salomé
Mais il est terrible, il est terrible, terrible.
Narraboth
Ne restez pas ici, princesse, je vous en prie.
Salomé
Ce sont les yeux surtout qui sont terribles. On dirait des cavernes noires où demeurent des dragons. On dirait des lacs noirs troublés par des lunes fantastiques … Pensez-vous qu’il parlera encore ?
Narraboth
(toujours plus insistant)
Ne restez pas ici, princesse ! Je vous prie de ne pas rester ici.
Salomé
Comme il est maigre aussi ! Il ressemble à une mince image d’ivoire. Je suis sûre qu’il est chaste autant que la lune. Sa chair doit être très froide, froide comme l’ivoire … Je veux le regarder de près.
Narraboth
Non, non, princesse.
Salomé
Il faut que je le regarde de près.
Narraboth
Princesse ! Princesse !
Iokanaan
Qui est cette femme qui me regarde ? Je ne veux pas qu’elle me regarde. Pourquoi me regarde-t-elle avec ses yeux d’or sous ses paupières dorées ? Je ne sais pas qui c’est. Je ne veux pas le savoir. Dites-lui de s’en aller. Ce n’est pas à elle que je veux parler.
Salomé
Je suis Salomé, fille d’Hérodias, princesse de Judée.
Iokanaan
Arrière ! Fille de Babylone ! N’approchez pas de l’élu du Seigneur. Ta mère a rempli la terre du vin de ses iniquités, et le cri de ses péchés est arrivé aux oreilles de Dieu.
Salomé
Parle encore, Iokanaan. Parle encore, Iokanaan. Ta voix m’enivre.
Narraboth
Princesse ! Princesse ! Princesse !
Salomé
Mais parle encore, Iokanaan, et dis-moi ce qu’il faut que je fasse.
Iokanaan
Fille de Sodome, ne m’approchez pas ! Mais couvrez votre visage avec un voile, mettez des cendres sur votre tête, et allez dans le désert chercher le fils de l’Homme.
Salomé
Qui est-ce, le fils de l’Homme ? Est-il aussi beau que toi, Iokanaan ?
Iokanaan
Arrière ! Arrière ! J’entends dans le palais le battement des ailes de l’ange de la mort …
Salomé
Iokanaan !
Narraboth
Princesse, je vous supplie de rentrer !
Salomé
Iokanaan ! Je suis amoureuse de ton corps, Iokanaan ! Ton corps est blanc comme le lis, le lis d’un pré que le faucheur n’a jamais fauché. Ton corps est blanc comme les neiges sur les montagnes de Judée. Les roses du jardin de la reine d’Arabie ne sont pas aussi blanches que ton corps. Ni les roses de la reine d’Arabie[,] ni les pieds de l’aurore sur les feuilles, ni le sein de la lune quand elle couche sur le sein de la mer. Il n’y a rien au monde aussi [sic] blanc que ton corps. Laisse-moi toucher, toucher ton corps.
Iokanaan
Arrière, fille de Babylone ! C’est par la femme que le mal est entré dans le monde. Ne me parlez pas. Je ne veux pas t’écouter. Je n’écoute que les paroles du Seigneur Dieu.
Salomé
Ton corps est hideux. Il est comme le corps d’un lépreux. Il est comme un mur de plâtre où les vipères sont passées, comme un mur de plâtre où les scorpions ont fait leur nid. Il est comme un sépulcre blanchi qui est plein de choses dégoûtantes. Il est horrible. Il est horrible ton corps ! … C’est de tes cheveux que je suis amoureuse, Iokanaan. Tes cheveux ressemblent à des grappes de raisins, des raisins noirs qui pendent des vignes d’Édom dans le pays des Édomites. Tes cheveux sont comme les cèdres, les grands cèdres du Liban ; les cèdres qui donnent de l’ombre aux lions et aux voleurs. Les longues nuits noires, les nuits où la lune ne se montre pas, où les étoiles ont peur[,] ne sont pas aussi noires. Le silence dans les forêts[.] Il n’est rien au monde aussi [sic] noir que tes cheveux. Laisse-moi toucher, toucher tes cheveux.
Iokanaan
Arrière, fille de Sodome ! Ne me touchez pas. Il ne faut pas profaner le temple du Seigneur Dieu.
Salomé
Tes cheveux sont horribles. Ils sont couverts de boue et de poussière. On dirait une couronne d’épines qu’on a placée sur ton front. On dirait un nœud de serpents noirs qui se tordent autour de ton cou. Je n’aime pas tes cheveux … C’est de ta bouche que je suis amoureuse, Iokanaan. C’est de ta bouche que je suis amoureuse, Iokanaan. Ta bouche est comme une bande d’écarlate sur une tour d’ivoire. Elle est comme une pomme de grenade coupée par un couteau d’ivoire. Les fleurs de grenade dans les jardins de Tyr[,] plus rouges que les roses[,] ne sont pas aussi rouges. Les cris rouges des trompettes qui annoncent l’arrivée des rois et font peur à l’ennemi[,] ne sont pas aussi rouges que ta bouche. Ta bouche est plus rouge que les pieds de ceux qui foulent le vin dans les pressoirs. Elle est plus rouge que les pieds des colombes qui demeurent dans les temples. Ta bouche est comme une branche de corail dans le crépuscule de la mer, le vermillon que les rois prennent dans les mines de Moab … (éperdue) Il n’y a rien aussi [sic] rouge que ta bouche. Ta bouche laisse-moi baiser.
Iokanaan
(à voix basse, d’un sourd frisson)
Jamais, fille de Babylone ! Fille de Sodome ! Jamais !
Salomé
Je baiserai ta bouche, Iokanaan. Je baiserai ta bouche …
Narraboth
(désespéré)
Princesse, princesse, toi qui es comme un bouquet de myrrhe, toi qui es la colombe des colombes, ne regarde pas cet homme. Ne lui dis pas de telles choses. Je ne peux pas les souffrir.
Salomé
Je baiserai ta bouche, Iokanaan. Je baiserai ta bouche …
(Narraboth se tue et tombe entre Salomé et Iokanaan.)
Salomé
Je baiserai ta bouche, Iokanaan.
Iokanaan
N’avez-vous pas peur, fille d’Hérodias ?
Salomé
Laisse-moi baiser ta bouche, Iokanaan.
Iokanaan
Fille d’adultère, il n’y a qu’un homme qui puisse vous sauver. Allez le chercher[.] C’est celui dont je t’ai parlé. Il est dans un bateau sur la mer de Galilée[,] et il parle à ses disciples. Agenouillez-vous au bord de la mer et appelez-le, appelez-le par son nom. Quand il viendra vers vous, et il vient vers tous ceux qui l’appellent, prosternez-vous à ses pieds et demandez-lui la rémission de vos péchés.
Salomé
(désespérée)
Je baiserai ta bouche, Iokanaan.
Iokanaan
Soyez maudite, fille d’une mère incestueuse, soyez maudite.
Salomé
Je baiserai ta bouche, Iokanaan.
Iokanaan
Je ne te regarderai pas. Tu es maudite, Salomé. Tu es maudite, tu es maudite. Tu es maudite.
(Il descend dans la citerne.)
Quatrième Scène
(Entrée d’Hérode, d’Hérodias et de toute la cour)
Hérode
Où est Salomé ? Où est la princesse ? Pourquoi n’est-elle pas retournée au festin comme je le lui avais commandé ? (apercevant Salomé accroupie derrière la citerne) Ah ! la voilà !
Hérodias
Il ne faut pas la regarder. Vous la regardez toujours.
Hérode
La lune a l’air très étrange ce soir. N’est-ce pas, très étrange ? On dirait une femme hystérique qui va chercher des amants partout. N’est-ce pas qu’elle chancelle comme une femme ivre …
Hérodias
Non. La lune ressemble à la lune, c’est tout. Rentrons !
Hérode
Je resterai. Manassé, mettez des tapis là. Allumez des flambeaux. Je boirai encore du vin avec mes hôtes. Ah ! j’ai glissé ! j’ai glissé dans le sang. C’est un mauvais présage. Pourquoi y a-t-il du sang ici ? Et ce cadavre ? Que fait ici ce cadavre ? Enfin, qui est-ce ? Je ne veux pas le regarder.
1er Soldat
C’est notre capitaine, Seigneur.
Hérode
Je n’ai donné aucun ordre de le tuer.
1er Soldat
Il s’est tué lui-même, Seigneur.
Hérode
Cela me semble étrange. Le jeune Syrien[,] il était beau. Je me rappelle que je l’ai vu regardant Salomé d’une façon langoureuse … Emportez-le …
(On emporte le cadavre.)
Hérode
Il fait froid ici. Il y a du vent ici. N’est-ce pas qu’il y a du vent ?
Hérodias
(sèchement)
Mais non. Il n’y a pas de vent.
Hérode
Mais si, il y a du vent … Et j’entends dans l’air quelque chose comme un battement d’ailes, d’ailes gigantesques. Ne l’entendez-vous pas ?
Hérodias
Je n’entends rien.
Hérode
Je ne l’entends plus moi-même. Mais je l’ai entendu. C’était le vent sans doute. C’est passé. Mais non, je l’entends encore. Ne l’entendez-vous pas ? C’est tout à fait comme un battement d’ailes …
Hérodias
Vous êtes malade. Rentrons.
Hérode
Je ne suis pas malade. C’est votre fille qui a l’air très malade. Jamais je ne l’ai vue si pâle.
Hérodias
Je vous ai dit de ne pas la regarder.
Hérode
Versez du vin. (On apporte du vin.) Salomé, venez boire un peu de vin avec moi : un vin très exquis. C’est César lui-même qui me l’a envoyé. Trempez là-dedans vos petites lèvres, vos petites lèvres rouges, et ensuite je viderai la coupe.
Salomé
Je n’ai pas soif, tétrarque.
Hérode
Vous entendez comme elle me répond, votre fille ?
Hérodias
Je trouve qu’elle a bien raison. Pourquoi la regardez-vous toujours ?
Hérode
Apportez des fruits. (On apporte des fruits.) Salomé, venez, venez manger des fruits avec moi. J’aime beaucoup voir dans un fruit la morsure, la morsure de tes petites dents. Mordez un tout petit morceau de ce fruit, un tout petit morceau[,] et ensuite je mangerai ce qui reste.
Salomé
Je n’ai pas faim, tétrarque.
Hérode
(à Hérodias)
Voilà comme vous l’avez élevée[,] votre fille.
Hérodias
Ma fille et moi, nous descendons d’une race royale. Quant à toi, ton grand-père gardait des chameaux ! Aussi, c’était un voleur !
Hérode
Salomé, viens t’asseoir près de moi. Je te donnerai le trône de ta mère.
Salomé
Je ne suis pas fatiguée, tétrarque.
Hérodias
Vous voyez bien ce qu’elle pense de vous.
Hérode
Apportez … Qu’est-ce que je veux ? Je ne sais pas. Ah ! Ah ! Je m’en souviens …
Voix d’Iokanaan
Ce que j’ai prédit est arrivé. Voici le jour dont j’avais parlé.
Hérodias
Faites-le taire ! Cet homme vomit toujours des injures contre moi.
Hérode
Il n’a rien dit contre vous. Aussi, c’est un très grand prophète.
Hérodias
Je ne crois pas aux prophètes. Je sais bien que vous avez peur de lui.
Hérode
Moi, je n’ai peur de personne.
Hérodias
Si, vous avez peur de lui. Pourquoi ne pas le livrer aux juifs qui depuis six mois vous le demandent ?
1er Juif
En effet, Seigneur, il serait mieux de nous le livrer.
Hérode
Assez sur ce point. Je ne veux pas vous le livrer. C’est un saint homme. C’est un homme qui a vu Dieu.
1er Juif
C’est impossible. Personne n’a vu Dieu depuis le prophète Élie. Lui, c’est le dernier qui ait vu Dieu. En ce temps-ci[,] Dieu ne se montre pas. Il se cache. Et par conséquent il y a de grands malheurs dans le pays, de grands malheurs.
2d Juif
Enfin, on ne sait pas si le prophète Élie a réellement vu Dieu. C’était plutôt l’ombre de Dieu qu’il a vue.
3e Juif
Dieu ne se cache, ne se cache jamais. Il se montre toujours et dans toute chose[.] Dieu est dans le mal comme dans le bien.
4e Juif
Il ne faut pas dire cela. C’est une idée très dangereuse d’Alexandrie. Et les Grecs sont des gentils.
5e Juif
On ne peut pas savoir comment Dieu agit, ses voies sont très mystérieuses. Le nécessaire c’est de se soumettre à tout. Dieu est très fort.
1er Juif
C’est vrai cela. Dieu est terrible. Mais cet homme, cet homme n’a jamais vu Dieu. Personne n’a vu Dieu depuis le prophète Élie. C’est le dernier, c’est le dernier qui ait vu Dieu. En ce temps-ci Dieu ne se montre pas, ne se montre pas, ne se montre pas. Dieu se cache. Dieu se cache. Il y a de grands malheurs dans le pays. Il y a de grands malheurs dans le pays. Il y a de grands malheurs, grands malheurs dans le pays. C’est le dernier, c’est le dernier qui ait vu Dieu. C’est le dernier qui ait vu Dieu. Dieu ne se montre pas. Dieu ne se montre pas. Personne n’a vu Dieu depuis le prophète. C’est le dernier qui ait vu Dieu. Personne n’a vu Dieu depuis le prophète[.]
2d Juif
Enfin, on ne sait pas si le prophète Élie a réellement vu Dieu. C’était plutôt l’ombre de Dieu, c’était plutôt, c’était plutôt l’ombre de Dieu qu’il a vue. Enfin, on ne sait pas si le prophète Élie a réellement vu Dieu. Dieu est terrible. Il brise les faibles et les forts. Il brise en même temps les faibles et les forts. C’était plutôt l’ombre de Dieu …
3e Juif
Dieu ne se cache, Dieu ne se cache jamais. Dieu ne se cache jamais. Il se montre toujours et dans toute chose. Dieu est dans le mal comme dans le bien. Dieu ne se cache jamais. Dieu ne se cache jamais, jamais. Dieu se montre toujours et dans toute chose. Dieu est dans le mal comme dans le bien.
4e Juif
(au troisième Juif)
Il ne faut pas dire cela. C’est une idée très dangereuse d’Alexandrie. Les Grecs sont des gentils. Ils ne sont pas même circoncis. Les Grecs sont des gentils. Ils ne sont pas même circoncis. On ne peut pas savoir comment Dieu agit. Dieu est très fort. On ne peut pas savoir comment Dieu agit. Dieu est très fort, il brise les faibles et les forts. Dieu est fort.
5e Juif
On ne peut pas savoir comment Dieu agit. Ses voies sont très mystérieuses. Ses voies sont très mystérieuses. On ne peut pas savoir comment Dieu agit. Peut-être ce que nous appelons le mal est le bien. Et ce que nous appelons le bien est le mal. Il n’a aucun souci de personne.
Hérodias
(à Hérode)
Faites-les taire. Ils m’ennuient.
Hérode
Mais j’ai entendu dire que Iokanaan lui-même est votre prophète Élie.
1er Juif
Cela ne se peut pas. Depuis le temps du prophète Élie il y a plus de trois cents ans.
Un Nazaréen
Moi, je suis sûr que c’est le prophète Élie.
2d Juif
Mais non, ce n’est pas le prophète Élie.
3e Juif
Mais non, ce n’est pas le prophète Élie.
1er Juif
Ça ne se peut pas. Depuis le temps du prophète Élie il y a plus de trois cents ans.
5e Juif
Mais non, ce n’est pas le prophète Élie.
4e Juif
Mais non, ce n’est pas le prophète Élie.
Hérodias
Faites-les taire !
Voix d’Iokanaan
Le jour est venu, le jour du Seigneur, et j’entends sur les montagnes les pieds de celui qui sera le Sauveur du monde.
Hérode
Qu’est-ce que cela veut dire ? Le Sauveur du monde ?
1er Nazaréen
Le Messie est venu.
1er Juif
(criant)
Le Messie n’est pas venu.
1er Nazaréen
Il est venu, et il fait des miracles partout. À l’occasion d’un mariage qui a eu lieu dans une ville de Galilée, il a changé de l’eau en vin. Il a guéri des aveugles. On l’a vu sur une montagne parlant avec des anges.
2d Nazaréen
Aussi il a guéri deux lépreux seulement en les touchant.
Hérodias
Oh ! Oh ! Je ne crois pas aux miracles. J’en ai vu trop.
1er Nazaréen
La fille de Jaïre était morte. Il l’a ressuscitée.
Hérode
(effrayé)
Ah ! Il ressuscite les morts ?
1er et 2d Nazaréen
Oui, Seigneur. Il ressuscite les morts.
Hérode
Je ne veux pas qu’il fasse cela. Ce serait terrible si les morts revenaient. Où est-il à présent[,] cet homme ?
1er Nazaréen
Il est partout, Seigneur, mais il est très difficile de le trouver.
Hérode
Mais il faut le trouver.
2d Nazaréen
On dit qu’il est à Samarie à présent.
1er Nazaréen
Il a quitté Samarie il y a quelques jours. Moi, je crois qu’en ce moment il est dans les environs de Jérusalem.
Hérode
Enfin, je ne permets pas qu’il ressuscite les morts. Ce serait terrible si les morts revenaient.
Voix d’Iokanaan
Ah ! l’impudique ! la prostituée ! La fille de Babylone ! Voici ce que dit le Seigneur.
Hérodias
(furieuse)
Mais cʼest infâme. Faites-le taire !
Voix d’Iokanaan
Faites venir contre elle une multitude d’hommes. Que le peuple prenne des pierres et la lapide.
Herodias
C’est infâme, c’est infâme !
Voix d’Iokanaan
Que les capitaines de guerre la percent de leurs épées, qu’ils l'écrasent sous leurs boucliers !
Hérodias
Faites-le taire, faites-le taire !
Voix d’Iokanaan
C’est ainsi que j’abolirai les crimes de dessus la terre, et que toutes les femmes apprendront à ne pas imiter les abominations de celle-là.
Hérodias
Vous entendez ce qu’il dit contre moi ? Vous le laissez insulter votre épouse ?
Hérode
Mais il n’a pas dit votre nom.
Voix d’Iokanaan
(solennel)
En ce jour-là[,] le soleil deviendra noir comme un sac de poil, et la lune deviendra comme du sang, et les étoiles du ciel tomberont sur la terre comme les figues vertes tombent d’un figuier. En ce jour-là[,] les rois de la terre auront peur.
Hérodias
Ah ! Ah ! Ce prophète parle comme un homme ivre … Mais je ne peux pas souffrir le son de sa voix[.] Je déteste sa voix. Ordonnez qu’il se taise.
Hérode
Salomé, dansez pour moi.
Hérodias
(violent)
Je ne veux pas qu’elle danse.
Salomé
(tranquille)
Ja n’ai aucune envie de danser, tétrarque.
Hérode
Salomé, fille d’Hérodias, dansez pour moi !
Salomé
Je ne danserai pas, tétrarque.
Hérodias
Voilà comme elle vous obéit.
Voix d’Iokanaan
Il sera assis sur son trône, il sera vêtu de pourpre et d’écarlate. Et l’ange du Seigneur Dieu le frappera. Il sera mangé des vers.
Hérode
Salomé, Salomé, dansez pour moi. Je suis triste ce soir. Ainsi[,] dansez pour moi, Salomé. Je vous supplie. Si vous dansez pour moi, vous pourrez me demander tout ce que vous voudrez, et je vous le donnerai.
Salomé
(se levant)
Vous me donnerez tout ce que je demanderai, tétrarque ?
Hérodias
Ne dansez pas, ma fille !
Hérode
Tout[,] tout ce que vous voudrez je vous donnerai [sic], fût-ce la moitié de mon royaume.
Salomé
Vous le jurez, tétrarque ?
Hérode
Je le jure, Salomé.
Salomé
Sur quoi jurez-vous, tétrarque ?
Hérode
Sur ma vie, sur ma couronne, sur mes dieux. Oh ! Salomé, Salomé, dansez pour moi.
Hérodias
Ne dansez pas, ma fille !
Salomé
Vous avez juré, tétrarque.
Hérode
J’ai juré, Salomé.
Hérodias
Ne dansez pas, ma fille.
Hérode
Fût-ce la moitié de mon royaume. Comme reine, comme reine[,] tu serais très belle. (frémissant) Ah ! Il fait froid ici … il y a un vent très froid, et j’entends … pourquoi est-ce que j’entends dans l’air ce battement d’ailes ? Oh ! On dirait qu’il y a un oiseau, un grand oiseau noir qui plane sur la terrasse. Pourquoi est-ce que je ne peux pas le voir, cet oiseau ? Le battement de ses ailes est terrible. C’est un vent froid … Mais non, il ne fait pas froid du tout. Il fait très chaud. Versez-moi de l’eau sur les mains. Donnez-moi de la neige à manger. Dégrafez mon manteau. Vite, vite ! Non. Laissez-le. C’est ma couronne qui me fait mal. Ces fleurs sont faites de feu.
(Il arrache de sa tête la couronne et la jette sur la table.)
Ah ! enfin, je respire. Maintenant je suis heureux. (épuisé) N’est-ce pas que vous allez danser pour moi, Salomé ?
Hérodias
Je ne veux pas qu’elle danse.
Salomé
Je danserai pour vous, tétrarque.
[Les esclaves apportent des parfums et les sept voiles et ôtent les sandales de Salomé.]
Voix d’Iokanaan
Qui est celui qui vient d’Édom, qui est celui qui vient de Bosra avec sa robe teinte de pourpre qui éclate dans la beauté de ses vêtements et qui marche avec une force toute puissante ? Pourquoi vos vêtements sont-ils teints d’écarlate ?
Hérodias
Rentrons. La voix de cet homme m’exaspère. Je ne veux pas que ma fille danse pendant qu’il crie comme cela. Je ne veux pas qu’elle danse pendant que vous la regardez comme cela. Enfin, je ne veux pas qu’elle danse.
Hérode
Ne te lève pas, mon épouse, ma reine, c’est inutile. Je ne rentrerai pas avant qu’elle ait dansé. Dansez, Salomé, dansez pour moi.
Hérodias
Ne dansez pas, ma fille !
Salomé
Je suis prête, tétrarque.
La Danse de Salomé
(Les musiciens commencent à jouer une danse effrénée.)
(Salomé encore immobile)
(Salomé se redresse et fait un signe aux musiciens qui par une transition rapide changent le rythme impétueux en une mélodie doucement berçante.)
(Salomé exécute »la danse des sept voiles«.)
(Salomé semble affaiblir un moment, puis recommence avec une fougue nouvelle.)
(Salomé reste un moment comme en extase au bord de la citerne dans laquelle Iokanaan est emprisonné – puis elle se précipite en avant aux pieds d’Hérode.)
Hérode
Ah ! Ah ! C’est magnifique, c’est magnifique ! (à Hérodias) Vous voyez qu’elle a dansé pour moi, votre fille. Approchez, Salomé ! Approchez afin que je puisse vous donner votre salaire. Toi, je te payerai bien. Je te donnerai tout ce que tu voudras. Que veux-tu, dis ?
Salomé
(doucement)
Je veux qu’on m’apporte présentement dans un bassin d’argent …
Hérode
(riant)
Dans un bassin d’argent ? mais oui, dans un bassin d’argent, certainement. Elle est charmante, n’est-ce pas ? Qu’est-ce que vous voulez qu’on vous apporte dans un bassin d’argent, ma chère et belle Salomé, vous qui êtes la plus belle de toutes les filles de Judée ? Qu’est-ce que vous voulez qu’on vous apporte dans un bassin d’argent ? Dites-moi. Quoi que cela puisse être on vous le donnera. Mes trésors vous appartiennent. Qu’est-ce que c’est, Salomé ?
Salomé
(se levant)
(souriant)
La tête d’Iokanaan.
Hérode
Non, non.
Hérodias
Ah ! C’est bien dit, ma fille. C’est bien dit.
Hérode
Non, non, Salomé ! Vous ne me demandez pas cela. N’écoutez pas votre mère. Elle vous donne toujours de mauvais conseils. Il ne faut pas l’écouter.
Salomé
Je n’écoute pas ma mère. C’est pour mon propre plaisir que je demande la tête d’Iokanaan dans un bassin d’argent. Vous avez juré, Hérode. N’oubliez pas que vous avez juré.
Hérode
Je le sais. Je le sais. Je le sais bien. J’ai juré par mes dieux. Mais je vous supplie, Salomé, de me demander autre chose. Demandez-moi la moitié de mon royaume et je vous la donnerai. Mais ne me demandez pas ce que vous m’avez demandé.
Salomé
Je vous demande la tête d’Iokanaan.
Hérode
Non, non, je ne veux pas.
Salomé
Si ! vous avez juré, Hérode.
Hérodias
Oui, vous avez juré. Tout le monde vous a entendu.
Hérode
Taisez-vous. Ce n’est pas à vous que je parle.
Hérodias
Ma fille a bien raison de demander la tête de cet homme. Il a vomi des insultes contre moi. On voit qu’elle aime beaucoup sa mère. Ne cédez pas, ma fille, ne cédez pas. Il a juré, il a juré.
Hérode
Taisez-vous. Ne me parlez pas. Voyons, Salomé, il faut être raisonnable, n’est-ce pas ? Salomé, je vous ai toujours aimée … Peut-être je vous ai trop aimée. Ainsi ne me demandez pas cela. La tête d’un homme, une tête coupée, n’est-ce pas ? c’est une chose laide ? Écoutez-moi un instant. J’ai une émeraude. C’est la plus grande émeraude du monde. N’est-ce pas que vous la voulez ? Demandez-moi cela et je vous la donnerai, la plus grande émeraude.
Salomé
Je demande la tête d’Iokanaan.
Hérode
Vous ne m’écoutez pas, vous ne m’écoutez pas. Enfin, laissez-moi parler, Salomé !
Salomé
La tête d’Iokanaan.
Hérode
Vous me dites cela seulement pour me faire de la peine, parce que je vous ai regardée toute la soirée. Votre beauté m’a terriblement troublé. Oh ! Oh ! du vin ! j’ai soif. Salomé. Salomé, soyons amis. Enfin ! voyez … Ah ! Qu’est-ce que je voulais dire ? Qu’est-ce que c’était ? Ah ! Je me souviens ! … Salomé, vous connaissez mes paons blancs, mes beaux paons blancs qui se promènent dans le jardin entre les myrtes. Il n’y a pas dans le monde d’oiseaux si merveilleux. Il n’y a aucun roi du monde qui possède des oiseaux aussi merveilleux. Je n’en ai que cent. Je vous les donnerai tous.
Salomé
Donnez-moi la tête d’Iokanaan !
Hérodias
C’est bien dit, ma fille ! (à Hérode) Vous, vous êtes ridicule avec vos paons.
Hérode
Taisez-vous ! Vous criez toujours comme une bête de proie. Votre voix m’ennuie. Taisez-vous, je vous dis … Salomé, pensez à ce que vous faites. Cet homme vient peut-être de Dieu. Je suis sûr : c’est un saint homme. Le doigt de Dieu l’a touché. Eh bien ! Salomé, vous ne voulez pas qu’un malheur m’arrive ? Enfin, écoutez-moi !
Salomé
Donnez-moi la tête d’Iokanaan.
Hérode
Ah ! Vous voyez, vous ne m’écoutez pas. Soyez calme. Moi, je suis très calme. Écoutez : (à voix basse, secrètement) J’ai des bijoux cachés ici que même votre mère n’a jamais vus, des bijoux tout à fait extraordinaires. J’ai un collier de perles à quatre rangs. J’ai des topazes jaunes comme les yeux des tigres, des topazes roses comme les yeux des pigeons, des topazes vertes comme les yeux des chats. J’ai des opales qui brûlent toujours avec une flamme qui est très froide. Je vous les donnerai tous, mais tous. (toujours plus excité) Moi, j’ai des chrysolithes et des béryls, j’ai des chrysoprases et des rubis. J’ai des sardonyx et des hyacinthes et des calcédoines. Je vous les donnerai tous, mais tous, et j’ajouterai d’autres choses. J’ai un cristal qu’il n’est pas permis aux femmes de voir. Dans un coffret de nacre j’ai trois turquoises merveilleuses. Quand on les porte sur le front on peut imaginer des choses qui n’existent pas. Ce sont des trésors de grande valeur. Enfin, que veux-tu, Salomé ? Je te donnerai tout ce que tu demanderas, sauf une chose. Je te donnerai tout ce que je possède, sauf une vie. Je te donnerai le manteau du grand-prêtre. Je te donnerai le voile du sanctuaire …
Les Juifs
Oh, oh, oh !
Salomé
(féroce)
Donnez-moi la tête d’Iokanaan.
(Hérode s’affaissant sur son siège)
Hérode
(épuisé)
Qu’on lui donne ce qu’elle demande ! C’est bien la fille de sa mère.
(Hérodias prend de la main du tétrarque la bague de la mort et la donne au premier soldat qui l’apporte immédiatement au bourreau.)
Hérode
Qui a pris ma bague ?
(Le bourreau descend dans la citerne.)
Hérode
(presque parlé)
Il y avait une bague à ma main droite. Qui a bu mon vin ? Il y avait du vin dans ma coupe. Elle était pleine de vin ! Quelqu’un l’a bu ? Oh ! Je suis sûr qu’il va arriver un malheur à quelqu’un.
Hérodias
Je trouve que ma fille a bien fait.
Hérode
Je suis sûr qu’il va arriver un malheur.
Salomé
(Elle se penche sur la citerne et écoute.)
Il n’y a pas de bruit. Je n’entends rien. Pourquoi ne crie-t-il pas, cet homme ? Ah ! Si quelqu’un cherchait à me tuer, je crierais, je me débattrais, je ne voudrais pas souffrir … Frappe, frappe, Naaman. Frappe, je te dis. Non, je n’entends rien. Il y a un silence affreux ! Ah ! quelque chose est tombée par terre. J’ai entendu quelque chose tomber. C’était l’épée du bourreau. Il a peur[,] cet esclave. Il a laissé tomber son épée. Il n’ose pas le tuer. C’est un lâche, cet esclave ! Il faut envoyer des soldats.
(Elle voit le page d’Hérodias et s’adresse à lui.)
Viens ici ! Tu as été l’ami de celui qui est mort, n’est-ce pas ? Eh bien, il n’y a pas eu assez de morts. Dites aux soldats qu’ils descendent et m’apportent ce que je demande. Ce que le tétrarque m’a promis, ce qui m’appartient.
(Le page recule.) (Elle s’adresse aux soldats.)
Venez ici, soldats. Descendez dans cette citerne et apportez-moi la tête de cet homme.
(Les soldats reculent.)
Tétrarque, tétrarque, commandez à vos soldats d’apporter la tête d’Iokanaan.
(Un grand bras noir, le bras du bourreau, sort de la citerne portant sur un bouclier d’argent la tête d’Iokanaan.)
(Salomé la saisit. Hérode se cache le visage avec son manteau. Hérodias sourit et s’évente. Les Nazaréens s’agenouillent et commencent à prier.)
Ah ! tu n’as pas voulu me laisser baiser ta bouche, Iokanaan. Eh bien ! je la baiserai maintenant. Je la mordrai avec mes dents. Je la mordrai avec mes dents comme on mord un fruit mûr. Oui, je baiserai ta bouche, Iokanaan. Je te l’ai dit, n’est-ce pas ? Je te l’ai dit. Ah ! Ah ! Je la baiserai maintenant. Mais pourquoi ne me regardes-tu pas, Iokanaan ? Tes yeux si terribles, si pleins de colère et de mépris, ils sont fermés maintenant. Pourquoi sont-ils fermés ? Ouvre tes yeux ! Soulève tes paupières, Iokanaan. Pourquoi ne me regardes-tu pas ? As-tu peur de moi, Iokanaan, que tu ne veux pas me regarder ? … Et ta langue[,] elle ne remue plus, Iokanaan, cette vipère rouge qui a vomi son venin sur moi. C’est étrange, n’est-ce pas ? Comment se fait-il que la vipère rouge ne remue plus ? Tu m’as traitée comme une courtisane … moi, Salomé, la fille de Hérodias, princesse de Judée. Eh bien ! Moi, je vis encore, mais toi, tu es mort et ta tête[,] ta tête m’appartient. Je puis en faire ce que je veux. Je puis la jeter aux chiens et aux oiseaux de l’air. Ce que laisseront les chiens[,] les oiseaux de l’air mangeront [sic] … Ah ! Ah ! Iokanaan, Iokanaan, tu étais beau. Ton corps était une colonne d’ivoire sur un socle d’argent. C’était un jardin plein de colombes et de lis, de lis d’argent. Rien au monde aussi [sic] blanc que ton corps. Rien au monde aussi [sic] noir que tes cheveux. Dans le monde tout entier il n’y avait rien aussi [sic] rouge que ta bouche … Ta voix était un encensoir qui répandait d’étranges parfums, et quand je te regardais j’entendais une musique étrange. Oh ! Pourquoi ne m’as-tu pas regardée, Iokanaan ? Tu as mis sur tes yeux le bandeau de celui qui veut voir son Dieu. Eh bien ! tu l’as vu, ton Dieu, Iokanaan. Mais moi, moi, moi […] tu ne m’as jamais vue. Si tu m’avais vue, tu m’aurais aimée. J’ai soif de ta beauté. J’ai faim de ton corps. Et ni le vin, ni les fruits ne peuvent apaiser mon désir. Que ferai-je maintenant, Iokanaan ? … Ni les fleuves, ni les grandes eaux ne pourraient éteindre ma passion. Ah ! Pourquoi ne m’as-tu pas regardée ? Si tu m’avais regardée, tu m’aurais aimée. Je sais bien que tu m’aurais aimée, et le mystère de l’amour est plus grand que le mystère de la mort …
Hérode
(à voix basse à Hérodias)
Elle est monstrueuse, ta fille, elle est tout à fait monstrueuse.
Hérodias
J’approuve ce que ma fille a fait, et je veux rester ici maintenant.
Hérode
Ah ! l’épouse incestueuse qui parle ! Viens ! Je ne veux pas rester ici.
(violent)
Viens[,] je te dis ! Je suis sûr qu’il va arriver un malheur. Cachons-nous dans notre palais. Hérodias, je commence à avoir peur.
(Un grand nuage noir passe sur la lune et la cache complètement.)
Hérode
Manassé, Issachar, Ozias, éteignez les flambeaux. Cachez la lune, cachez les étoiles !
(La scène devient tout à fait sombre.)
Il va arriver un malheur.
Salomé
(épuisée)
Ah ! J’ai baisé ta bouche, Iokanaan. Ah ! j’ai baisé ta bouche. Il y avait une âcre saveur sur tes lèvres. Était-ce la saveur du sang ? Mais peut-être est-ce la saveur de l’amour. On dit que l’amour a une âcre saveur. Mais qu’importe ? Qu’importe ? J’ai baisé ta bouche, Iokanaan. J’ai baisé ta bouche, Iokanaan.
(Un rayon de lune tombe sur Salomé et l’éclaire.)
Hérode
(se retournant et voyant Salomé)
Tuez cette femme.
(Les soldats s’élancent et écrasent sous leurs boucliers Salomé.)
Edierter GesangstextTextvorlage
SCÈNE
Première Scène
Une grande terrasse dans le palais d’Hérode donnant sur la salle de festin. Des soldats sont accoudés sur le balcon. A droite, il y a un énorme escalier. A gauche, au fond, une ancienne citerne entourée d’un mur de bronze vert. Clair de lune.(Une grande terrasse dans le palais d’Hérode donnant sur la salle de festin. Des soldats sont accoudés sur le balcon. A droite il y a un énorme escalier. A gauche, au fond, une ancienne citerne entourée d’un mur de bronze vert. Clair de lune.)
(Rideau)
NarrabothLE JEUNE SYRIEN
Comme la princesse Salomé est belle ce soir !Comme la princesse Salomé est belle ce soir !
Le Page d’HérodiasLE PAGE D’HÉRODIAS
Regardez la lune. La lune a l’air très étrange. On dirait une femme qui sort d’un tombeau.Regardez la lune. La lune a l’air très étrange. On dirait une femme qui sort d’un tombeau. Elle ressemble à une femme morte. On dirait qu’elle cherche des morts.
NarrabothLE JEUNE SYRIEN
Elle a l’air très étrange. Elle ressemble à une princesse qui a des pieds comme des petites colombes blanches … On dirait qu’elle danse.Elle a l’air très étrange. Elle ressemble à une petite princesse qui porte un voile jaune, et a des pieds d’argent. Elle ressemble à une princesse qui a des pieds comme des petites colombes blanches … On dirait qu’elle danse.
PageLE PAGE D’HÉRODIAS
Elle est comme une femme morte. Elle va très lentement.Elle est comme une femme morte. Elle va très lentement.
(Bruit dans la salle de festin)(Bruit dans la salle de festin.)
1er SoldatPREMIER SOLDAT
Quel vacarme ! Qui sont ces bêtes fauves qui hurlent ?Quel vacarme ! Qui sont ces bêtes fauves qui hurlent ?
2d SoldatSECOND SOLDAT
Les Juifs. Ils sont toujours ainsi. C’est sur leur religion qu’ils discutent.Les Juifs. Ils sont toujours ainsi. C’est sur leur religion qu’ils discutent.
PREMIER SOLDAT
Pourquoi discutent-ils sur leur religion ?
SECOND SOLDAT
Je ne sais pas. Ils le font toujours … Ainsi les Pharisiens affirment qu’il y a des anges, et les Sadducéens disent que les anges n’existent pas.
1er SoldatPREMIER SOLDAT
Je trouve que c’est ridicule de discuter sur de telles choses.Je trouve que c’est ridicule de discuter sur de telles choses.
NarrabothLE JEUNE SYRIEN
Qu’elle est belle, la princesse Salomé[,] ce soir. Qu’elle est belle !Comme la princesse Salomé est belle ce soir !
PageLE PAGE D’HÉRODIAS
(inquièt)
Vous la regardez toujours. Vous la regardez trop ! Il ne faut pas regarder les gens de cette façon. Il peut arriver un malheur.Vous la regardez toujours. Vous la regardez trop. Il ne faut pas regarder les gens de cette façon … Il peut arriver un malheur.
NarrabothLE JEUNE SYRIEN
Elle est très belle ce soir.Elle est très belle ce soir.
1er SoldatPREMIER SOLDAT
Le tétrarque a l’air très sombre.Le tétrarque a l’air sombre.
2d SoldatSECOND SOLDAT
Oui, il a l’air sombre.Oui, il a l’air sombre.
PREMIER SOLDAT
Il regarde quelque chose.
SECOND SOLDAT
Il regarde quelqu’un.
1er SoldatPREMIER SOLDAT
Qui regarde-t-il ?Qui regarde-t-il ?
2d SoldatSECOND SOLDAT
Je ne sais pas.Je ne sais pas.
NarrabothLE JEUNE SYRIEN
Comme la princesse est pâle. Jamais je ne l’ai vue si pâle. Elle ressemble au reflet d’une rose blanche dans un miroir d’argent.Comme la princesse est pâle ! Jamais je ne l’ai vue si pâle. Elle ressemble au reflet d’une rose blanche dans un miroir d’argent.
PageLE PAGE D’HÉRODIAS
(très inquièt)
Il ne faut pas la regarder. Vous la regardez trop. Je vous prie de ne pas la regarder.Il ne faut pas la regarder. Vous la regardez trop !
PREMIER SOLDAT
Hérodias a versé à boire au tétrarque.
LE CAPPADOCIEN
C’est la reine Hérodias, celle-là qui porte la mitre noire semée de perles et qui a les cheveux poudrés de bleu ?
PREMIER SOLDAT
Oui, c’est Hérodias. C’est la femme du tétrarque.
SECOND SOLDAT
Le tétrarque aime beaucoup le vin. Il possède des vins de trois espèces. Un qui vient de l’ile de Samothrace, qui est pourpre comme le manteau de César.
LE CAPPADOCIEN
Je n’ai jamais vu César.
SECOND SOLDAT
Un autre qui vient de la ville de Chypre, qui est jaune comme de l’or.
LE CAPPADOCIEN
J’aime beaucoup l’or.
SECOND SOLDAT
Et le troisième qui est un vin sicilien. Ce vin là est rouge comme le sang.
LE NUBIEN
Les dieux de mon pays aiment beaucoup le sang. Deux fois par an nous leur sacrifions des jeunes hommes et des vierges : cinquante jeunes hommes et cent vierges. Mais il semble que nous ne leur donnons jamais assez, car ils sont très durs envers nous.
LE CAPPADOCIEN
Dans mon pays, il n’y a pas de dieux à présent, les Romains les ont chassés. Il y en a qui disent qu’ils se sont réfugiés dans les montagnes, mais je ne le crois pas. Moi, j’ai passé trois nuits sur les montagnes les cherchant partout. Je ne les ai pas trouvés. Enfin je les ai appelés par leurs noms et ils n’ont pas paru. Je pense qu’ils sont morts.
PREMIER SOLDAT
Les Juifs adorent un Dieu qu’on ne peut pas voir.
LE CAPPADOCIEN
Je ne peux pas comprendre cela.
PREMIER SOLDAT
Enfin, ils ne croient qu’aux choses qu’on ne peut pas voir.
LE CAPPADOCIEN
Cela me semble absolument ridicule.
Voix d’IokanaanLA VOIX D’IOKANAAN
(dans la citerne)
Après moi viendra un autre encore plus puissant que moi. Je ne suis pas digne même de délier la courroie de ses sandales. Quand il viendra[,] la terre déserte se réjouira. Quand il viendra, les yeux des aveugles verront le jour. Quand il viendra[,] les oreilles des sourds seront ouvertes.Après moi viendra un autre encore plus puissant que moi. Je ne suis pas digne même de délier la courroie de ses sandales. Quand il viendra la terre déserte se réjouira. Elle fleurira comme le lis. Les yeux des aveugles verront le jour, et les oreilles des sourds seront ouvertes … Le nouveau-né mettra sa main sur le nid des dragons, et mènera les lions par leurs crinières.
2d SoldatSECOND SOLDAT
Faites-le taire.Faites-le taire. Il dit toujours des choses absurdes.
1er SoldatPREMIER SOLDAT
Mais non : c’est un saint homme.Mais non ; c’est un saint homme. Il est très doux aussi. Chaque jour je lui donne à manger. Il me remercie toujours.
2d Soldat
Il dit toujours des choses absurdes.
1er Soldat
Il est très doux. Chaque jour[,] je lui donne à manger ; il me remercie toujours.
CappadocienLE CAPPADOCIEN
Qui est-ce ?Qui est-ce ?
1er SoldatPREMIER SOLDAT
C’est un prophète.C’est un prophète.
CappadocienLE CAPPADOCIEN
Quel est son nom ?Quel est son nom ?
1er SoldatPREMIER SOLDAT
Iokanaan.Iokanaan.
CappadocienLE CAPPADOCIEN
D’où vient-il ?D’où vient-il ?
1er SoldatPREMIER SOLDAT
Du désert. Une grande foule de disciples le suivait.Du désert, où il se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage. Il était vêtu de poil de chameau, et autour de ses reins il portait une ceinture de cuir. Son aspect était très farouche. Une grande foule le suivait. Il avait même des disciples.
CappadocienLE CAPPADOCIEN
De quoi parle-t-il ?De quoi parle-t-il ?
1er SoldatPREMIER SOLDAT
Il est impossible de le comprendre.Nous ne savons jamais. Quelquefois il dit des choses épouvantables mais il est impossible de le comprendre.
CappadocienLE CAPPADOCIEN
Peut-on le voir ?Peut-on le voir ?
1er SoldatPREMIER SOLDAT
Non. Le tétrarque ne le permet pas.Non. Le tétrarque ne le permet pas.
LE JEUNE SYRIEN
Le princesse a caché son visage derrière son éventail ! Ses petites mains blanches s’agitent comme des colombes qui s’envolent vers leurs colombiers. Elles ressemblent à des papillons blancs. Elles sont tout à fait comme des papillons blancs.
LE PAGE D’HÉRODIAS
Mais qu’est-ce que cela vous fait ? Pourquoi la regarder ? Il ne faut pas la regarder … Il peut arriver un malheur.
LE CAPPADOCIEN
(montrant la citerne)
Quelle étrange prison !
SECOND SOLDAT
C’est une ancienne citerne.
LE CAPPADOCIEN
Une ancienne citerne ! cela doit être très malsain.
SECOND SOLDAT
Mais non. Par exemple, le frère du tétrarque, son frère aîné, le premier mari de la reine Hérodias, a été enfermé là-dedans pendent douze annèes. Il n’en est pas mort. A la fin il a fallu l’étrangler.
LE CAPPADOCIEN
L’étrangler ? Qui a osé faire cela ?
SECOND SOLDAT
(montrant le bourreau, un grand nègre)
Celui-là, Naaman.
LE CAPPADOCIEN
Il n’a pas eu peur ?
SECOND SOLDAT
Mais non. Le tétrarque lui a envoyé la bague.
LE CAPPADOCIEN
Quelle bague ?
SECOND SOLDAT
La bague de la mort. Ainsi, il n’a pas eu peur.
LE CAPPADOCIEN
Cependant, c’est terrible d’étrangler un roi.
PREMIER SOLDAT
Pourquoi ? Les rois n’ont qu’un cou, comme les autres hommes.
LE CAPPADOCIEN
Il me semble que c’est terrible.
NarrabothLE JEUNE SYRIEN
Mais la princesse se lève. Elle quitte la table. Elle a l’air très ennuyée ! Elle vient par ici.Mais la princesse se lève ! Elle quitte la table ! Elle a l’air très ennuyée. Ah ! elle vient par ici. Oui, elle vient vers nous. Comme elle est pâle. Jamais je ne l’ai vue si pâle …
PageLE PAGE D’HÉRODIAS
Ne la regardez pas.Ne la regardez pas. Je vous prie de ne pas la regarder.
Narraboth
Ah ! Elle vient par ici, vers nous !
Page
Je vous prie, ne la regardez trop.
NarrabothLE JEUNE SYRIEN
Elle est comme une colombe qui s’est éga-Elle est comme une colombe qui s’est égarée  Elle est comme un narcisse agité du vent … Elle ressemble à une fleur d’argent.
Deuxième Scène
(Entre Salomé)(Entre Salomé)
-rée !
SaloméSALOMÉ
Je ne resterai pas. Je ne peux pas rester. Pourquoi le tétrarque me regarde-t-il toujours avec ses yeux de taupe sous ses paupières tremblantes ? C’est étrange que le mari de ma mère me regarde comme cela. Comme l’air est frais ici. Enfin, ici on respire ! Là-dedans il y a des Juifs de Jérusalem qui se déchirent à cause de leurs ridicules cérémonies … Des Égyptiens subtils, silencieux … Des Romains avec leur lourdeur, leur brutalité, leurs gros mots. Ah ! que je déteste les Romains !Je ne resterai pas. Je ne peux pas rester. Pourquoi le tétrarque me regarde-t-il toujours avec ses yeux de taupe sous ses paupières tremblantes ? … C’est étrange que le mari de ma mère me regarde comme cela. Je ne sais pas ce que cela veut dire … Au fait, si, je le sais.
LE JEUNE SYRIEN
Vous venez de quitter le festin, princesse ?
SALOMÉ
Comme l’air est frais ici ! Enfin, ici on respire ! Là-dedans il y a des Juifs de Jérusalem qui se déchirent à cause de leurs ridicules cérémonies, et des barbares qui boivent toujours et jettent leur vin sur les dalles, et des Grecs de Smyrne avec leurs yeux peints et leurs joues fardées, et leurs cheveux frisés en spirales, et des Egyptiens, silencieux, subtils, avec leurs ongles de jade et leurs manteaux bruns, et des Romains avec leur brutalité, leur lourdeur, leurs gros mots. Ah ! que je déteste les Romains ! Ce sont des gens communs, et ils se donnent des airs de grands seigneurs.
LE JEUNE SYRIEN
Ne voulez-vous pas vous asseoir, princesse ?
PageLE PAGE D’HÉRODIAS
(à Narraboth)
Oh ! Il va arriver un malheur. Pourquoi la regarder ?Pourquoi lui parler ? Pourquoi la regarder ? Oh ! il va arriver un malheur.
SaloméSALOMÉ
Que c’est bon de voir la lune. On dirait une toute petite fleur d’argent. Froide et chaste. Elle a la beauté d’une vierge … Je suis sûre qu’elle est vierge.Que c’est bon de voir la lune ! Elle ressemble à une petite pièce de monnaie. On dirait une toute petite fleur d’argent. Elle est froide et chaste, la lune … Je suis sûre qu’elle est vierge. Elle a la beauté d’une vierge … Oui, elle est vierge. Elle ne s’est jamais souillée. Elle ne s’est jamais donnée aux hommes, comme les autres Déesses.
Voix d’IokanaanLA VOIX D’IOKANAAN
Il est venu, le Seigneur ! Il est venu[,] le fils de l’Homme.Il est venu, le Seigneur ! Il est venu le fils de l’Homme. Les centaures se sont cachés dans les rivières, et les sirènes ont quitté les rivières et couchent sous les feuilles dans les forêts.
SaloméSALOMÉ
Qui a crié cela ?Qui a crié cela ?
2d SoldatSECOND SOLDAT
C’est le prophète, princesse.C’est le prophète, princesse.
SaloméSALOMÉ
Ah ! le prophète. Celui dont le tétrarque a peur ?Ah ! le prophète. Celui dont le tétrarque a peur ?
2d SoldatSECOND SOLDAT
Nous ne savons rien de cela, princesse. C’est le prophète Iokanaan.Nous ne savons rien de cela, princesse. C’est le prophète Iokanaan.
NarrabothLE JEUNE SYRIEN
(à Salomé)
Voulez-vous que je commande votre litière, princesse ? Il fait très beau dans le jardin.Voulez-vous que je commande votre litière, princesse ? Il fait très beau dans le jardin.
SaloméSALOMÉ
Il dit des choses monstrueuses à propos de ma mère, n’est-ce pas ?Il dit des choses monstrueuses, à propos de ma mère, n’est-ce pas ?
2d SoldatSECOND SOLDAT
Nous ne comprenons jamais ce qu’il dit, princesse.Nous ne comprenons jamais ce qu’il dit, princesse.
SaloméSALOMÉ
Oui, il dit des choses monstrueuses d’elle.Oui, il dit des choses monstrueuses d’elle.
Un EsclaveUN ESCLAVE
(entrant)
Princesse, le tétrarque vous prie de retourner au festin.Princesse, le tétrarque vous prie de retourner au festin.
SaloméSALOMÉ
(impétueux)
Je n’y retournerai pas.Je n’y retournerai pas.
(L’esclave sort.)
LE JEUNE SYRIEN
Pardon, princesse, mais si vous n’y retourniez pas il pourrait arriver un malheur.
SaloméSALOMÉ
Est-ce un vieillard, le prophète ?Est-ce un vieillard, le prophète ?
NarrabothLE JEUNE SYRIEN
(insistant)
Princesse, il vaudrait mieux retourner. Permettez-moi de vous reconduire.Princesse il vaudrait mieux retourner. Permettez-moi de vous reconduire.
SaloméSALOMÉ
Le prophète … est-ce un vieillard ?Le prophète … est-ce un vieillard ?
1er SoldatPREMIER SOLDAT
Non, princesse, c’est un tout jeune homme.Non, princesse, c’est un tout jeune homme.
SECOND SOLDAT
On ne le sait pas. Il y en a qui disent que c’est Élie.
SALOMÉ
Qui est Élie ?
SECOND SOLDAT
Un très ancien prophète de ce pays, princesse.
UN ESCLAVE
Quelle réponse dois-je donner au tétrarque de la part de la princesse ?
Voix d’IokanaanLA VOIX D’IOKANAAN
Ne te réjouis point, terre de Palestine, parce que la verge de celui qui te frappait a été brisée. Car de la race du serpent il sortira un basilic, et ce qui en naîtra dévorera les oiseaux.Ne te réjouis point, terre de Palestine, parce que la verge de celui qui te frappait a été brisée. Car de la race du serpent il sortira un basilic, et ce qui en naîtra dévorera les oiseaux.
SaloméSALOMÉ
Quelle étrange voix. Je voudrais bien lui parler.Quelle étrange voix ! Je voudrais bien lui parler.
2d SoldatPREMIER SOLDAT
Princesse, le tétrarque ne veut pas qu’on lui parle. Il a même défendu au grand-prêtre de lui parler.J’ai peur que ce soit impossible, princesse. Le tétrarque ne veut pas qu’on lui parle. Il a même défendu au grand prêtre de lui parler.
SaloméSALOMÉ
Je veux lui parler.Je veux lui parler.
2d SoldatPREMIER SOLDAT
C’est impossible, princesse.C’est impossible, princesse.
SaloméSALOMÉ
(toujours plus violent)
Je le veux. Faites sortir le prophète.Je le veux.
LE JEUNE SYRIEN
En effet, princesse, il vaudrait mieux retourner au festin.
SALOMÉ
Faites sortir le prophète.
2d SoldatPREMIER SOLDAT
Nous n’osons pas, princesse.Nous n’osons pas, princesse.
SaloméSALOMÉ
(s’approchant de la citerne et y regardant)(s’approchant de la citerne et y regardant)
Comme il fait noir là-dedans ! Cela doit être terrible d’être dans un trou si noir ! Cela ressemble à une tombe … (aux soldats, féroce) Vous ne m’avez pas entendue ? Faites-le sortir. Je veux le voir.Comme il fait noir là-dedans ! Cela doit-être terrible d’être dans un trou si noir ! Cela ressemble à une tombe … (aux soldats) Vous ne m’avez pas entendue ? Faites-le sortir. Je veux le voir.
1er SoldatSECOND SOLDAT
Je vous prie, princesse, de ne pas nous demander cela.Je vous prie, princesse, de ne pas nous demander cela.
SALOMÉ
Vous me faites attendre.
PREMIER SOLDAT
Princesse, nos vies vous appartiennent, mais nous ne pouvons pas faire ce que vous nous demandez … Enfin, ce n’est pas à nous qu’il faut vous adresser.
SaloméSALOMÉ
(regardant le jeune Syrien)(regardant le jeune Syrien)
Ah !Ah !
PageLE PAGE D’HÉRODIAS
Oh ! qu’est-ce qui va arriver ? Je suis sûr qu’il va arriver un malheur.Oh ! qu’est-ce qu’il va arriver ? Je suis sûr qu’il va arriver un malheur.
SaloméSALOMÉ
(s’approchant du jeune Syrien)(s’approchant du jeune Syrien)
(parlant doucement et avec une grande vivacité)
Vous ferez cela pour moi, pour moi, n’est-ce pas, Narraboth ? Pour vous[,] j’ai toujours été très douce. Vous ferez cela pour moi. Je veux seulement le regarder[,] cet étrange prophète. On a tant parlé de lui. Je pense qu’il a peur de lui, le tétrarque.Vous ferez cela pour moi, n’est-ce pas, Narraboth ? Vous ferez cela pour moi ? J’ai toujours été douce pour vous. N’est-ce pas que vous ferez cela pour moi ? Je veux seulement le regarder, cet étrange prophète. On a tant parlé de lui. J’ai si souvent entendu le tétrarque parler de lui. Je pense qu’il a peur de lui, le tétrarque. Je suis sûre qu’il a peur de lui … Est-ce que vous aussi, Narraboth, est-ce que vous aussi vous en avez peur ?
NarrabothLE JEUNE SYRIEN
Le tétrarque a formellement défendu qu’on lève le couvercle de ce puits.Je n’ai pas peur de lui, princesse. Je n’ai peur de personne. Mais le tétrarque a formellement défendu qu’on lève le couvercle de ce puits.
SaloméSALOMÉ
Vous ferez cela pour moi, Narraboth, (très vite) et demain, quand je passerai dans ma litière sous la porte des vendeurs d’idoles, (toujours à voix basse) je laisserai tomber pour vous une petite fleur, une petite fleur verte.Vous ferez cela pour moi, Narraboth, et demain quand je passerai dans ma litière sous la porte des vendeurs d’idoles, je laisserai tomber une petite fleur pour vous, une petite fleur verte.
NarrabothLE JEUNE SYRIEN
Princesse, je ne peux pas, je ne peux pas.Princesse, je ne peux pas, je ne peux pas.
SaloméSALOMÉ
(souriant)(souriant)
Vous ferez cela pour moi, Narraboth. (plus décidément) Vous savez bien que vous ferez cela pour moi. Et demain je vous regarderai à travers les voiles de mousseline, Narraboth, je vous regarderai, peut-être je vous sourirai, je vous sourirai. Narraboth, regardez-moi ! Ah ! vous savez bien que vous allez faire ce que je vous demande. Vous le savez bien. Moi, je le sais bien.Vous ferez cela pour moi, Narraboth. Vous savez bien que vous ferez cela pour moi. Et demain quand je passerai dans ma litière sur le pont des acheteurs d’idoles je vous regarderai à travers les voiles de mousseline, je vous regarderai, Narraboth, je vous sourirai, peut-être. Regardez-moi, Narraboth. Regardez-moi. Ah ! vous savez bien que vous allez faire ce que je vous demande. Vous le savez bien, n’est-ce pas ? … Moi je le sais bien.
NarrabothLE JEUNE SYRIEN
(faisant un signe au second soldat)(faisant un signe au troisième soldat)
Faites sortir le prophète … La princesse Salomé veut le voir.Faites sortir le prophète … La princesse Salomé veut le voir.
SaloméSALOMÉ
Ah !Ah !
LE PAGE D’HERODIAS
Oh ! comme la lune a l’air étrange ! On dirait la main d’une morte qui cherche à se couvrir avec un linceul.
LE JEUNE SYRIEN
Elle a l’air très étrange. On dirait une petite princesse qui a des yeux d’ambre. A travers les nuages de mousseline elle sourit comme une petite princesse.
(Le prophète sort de la citerne.)(Le prophète sort de la citerne. Salomé le regarde et recule.)
Troisième Scène
(Salomé le regarde et recule.)
IokanaanIOKANAAN
(fort)
Où est celui dont la coupe d’abominations est déjà pleine ? Où est celui qui en robe d’argent mourra un jour devant tout le peuple ? Dites-lui de venir afin qu’il puisse entendre la voix de celui qui a crié dans les déserts et dans les palais des rois.Où est celui dont la coupe d’abominations est déjà pleine ? Où est celui qui en robe d’argent mourra un jour devant tout le peuple ? Dites-lui de venir afin qu’il puisse entendre la voix de celui qui a crié dans les déserts et dans les palais des rois.
SaloméSALOMÉ
De qui parle-t-il ?De qui parle-t-il ?
NarrabothLE JEUNE SYRIEN
On ne sait jamais, princesse.On ne sait jamais, princesse.
IokanaanIOKANAAN
Où est celle[,] ayant vu des hommes peints sur la muraille, qui s’est laissée emporter à la concupiscence de ses yeux et a envoyé des ambassadeurs en Chaldée ?Où est celle qui ayant vu des hommes peints sur la muraille, des images de Chaldéens tracées avec des couleurs, s’est laissée emporter à la concupiscence de ses yeux, et a envoyé des ambassadeurs en Chaldée ?
SaloméSALOMÉ
(sotto voce)
C’est de ma mère qu’il parle.C’est de ma mère qu’il parle.
NarrabothLE JEUNE SYRIEN
Mais non, princesse.Mais non, princesse.
SaloméSALOMÉ
(languissante)
Si, c’est de ma mère.Si, c’est de ma mère.
IokanaanIOKANAAN
Où est celle qui s’est abandonnée aux capitaines des Assyriens ? Où est celle qui s’est abandonnée aux jeunes hommes d’Égypte qui sont vêtus de linge et d’hyacinthe et portent des boucliers d’or et des casques d’argent et qui ont de grands corps. Dites-lui de se lever de la couche de son impudicité, de sa couche incestueuse, afin qu’elle puisse entendre les paroles de celui qui prépare la voie du Seigneur ; afin qu’elle se repente de ses péchés. Quoiqu’elle ne se repentira jamais[,] dites-lui de venir, car le Seigneur a son fléau dans la main.Où est celle qui s’est abandonnée aux capitaines des Assyriens, qui ont des baudriers sur les reins, et sur la tête des tiares de différentes couleurs ! Où est celle qui s’est abandonnée aux jeunes hommes d’Egypte qui sont vêtus de lin et d’hyacinthe, et portent des boucliers d’or et des casques d’argent, et qui ont de grands corps. Dites-lui de se lever de la couche de son impudicité, de sa couche incestueuse, afin qu’elle puisse entendre les paroles de celui qui prépare la voie du Seigneur ; afin qu’elle se repente de ses péchés. Quoiqu’elle ne se repentira jamais, mais restera dans ses abominations, dites-lui de venir, car le Seigneur a son fléau dans la main.
SaloméSALOMÉ
Mais il est terrible, il est terrible, terrible.Mais il est terrible, il est terrible.
NarrabothLE JEUNE SYRIEN
Ne restez pas ici, princesse, je vous en prie.Ne restez pas ici, princesse, je vous en prie.
SaloméSALOMÉ
Ce sont les yeux surtout qui sont terribles. On dirait des cavernes noires où demeurent des dragons. On dirait des lacs noirs troublés par des lunes fantastiques … Pensez-vous qu’il parlera encore ?Ce sont les yeux surtout qui sont terribles. On dirait des trous noirs laissés par des flambeaux sur une tapisserie de Tyr. On dirait des cavernes noires où demeurent des dragons, des cavernes noires d’Egypte où les dragons trouvent leur asile. On dirait des lacs noirs troublés par des lunes fantastiques … Pensez-vous qu’il parlera encore ?
NarrabothLE JEUNE SYRIEN
(toujours plus insistant)
Ne restez pas ici, princesse ! Je vous prie de ne pas rester ici.Ne restez pas ici, princesse ! Je vous prie de ne pas rester ici.
SaloméSALOMÉ
Comme il est maigre aussi ! Il ressemble à une mince image d’ivoire. Je suis sûre qu’il est chaste autant que la lune. Sa chair doit être très froide, froide comme l’ivoire … Je veux le regarder de près.Comme il est maigre aussi ! il ressemble à une mince image d’ivoire. On dirait une image d’argent. Je suis sûre qu’il est chaste, autant que la lune. Il ressemble à un rayon de lune, à un rayon d’argent. Sa chair doit être très froide, comme de l’ivoire … Je veux le regarder de près.
NarrabothLE JEUNE SYRIEN
Non, non, princesse.Non, non, princesse !
SaloméSALOMÉ
Il faut que je le regarde de près.Il faut que je le regarde de près.
NarrabothLE JEUNE SYRIEN
Princesse ! Princesse !Princesse ! Princesse !
IokanaanIOKANAAN
Qui est cette femme qui me regarde ? Je ne veux pas qu’elle me regarde. Pourquoi me regarde-t-elle avec ses yeux d’or sous ses paupières dorées ? Je ne sais pas qui c’est. Je ne veux pas le savoir. Dites-lui de s’en aller. Ce n’est pas à elle que je veux parler.Qui est cette femme qui me regarde ? Je ne veux pas qu’elle me regarde. Pourquoi me regarde-t-elle avec ses yeux d’or sous ses paupières dorées ? Je ne sais pas qui c’est. Je ne veux pas le savoir. Dites-lui de s’en aller. Ce n’est pas à elle que je veux parler.
SaloméSALOMÉ
Je suis Salomé, fille d’Hérodias, princesse de Judée.Je suis Salomé, fille d’Hérodias, princesse de Judée.
IokanaanIOKANAAN
Arrière ! Fille de Babylone ! N’approchez pas de l’élu du Seigneur. Ta mère a rempli la terre du vin de ses iniquités, et le cri de ses péchés est arrivé aux oreilles de Dieu.Arrière ! Fille de Babylone ! N’approchez pas de l’élu du Seigneur. Ta mère a rempli la terre du vin de ses iniquités, et le cri de ses péchés est arrivé aux oreilles de Dieu.
SaloméSALOMÉ
Parle encore, Iokanaan. Parle encore, Iokanaan. Ta voix m’enivre.Parle encore, Iokanaan. Ta voix m’enivre.
NarrabothLE JEUNE SYRIEN
Princesse ! Princesse ! Princesse !Princesse ! Princesse ! Princesse !
SaloméSALOMÉ
Mais parle encore, Iokanaan, et dis-moi ce qu’il faut que je fasse.Mais parle encore. Parle encore, Iokanaan, et dis-moi ce qu’il faut que je fasse.
IokanaanIOKANAAN
Fille de Sodome, ne m’approchez pas ! Mais couvrez votre visage avec un voile, mettez des cendres sur votre tête, et allez dans le désert chercher le fils de l’Homme.Ne m’approchez pas, fille de Sodome, mais couvrez votre visage avec un voile, et mettez des cendres sur votre tête, et allez dans le désert chercher le fils de l’Homme.
SaloméSALOMÉ
Qui est-ce, le fils de l’Homme ? Est-il aussi beau que toi, Iokanaan ?Qui est-ce, le fils de l’Homme ? Est-il aussi beau que toi, Iokanaan ?
IokanaanIOKANAAN
Arrière ! Arrière ! J’entends dans le palais le battement des ailes de l’ange de la mort …Arrière ! Arrière ! J’entends dans le palais le battement des ailes de l’ange de la mort.
Salomé
Iokanaan !
NarrabothLE JEUNE SYRIEN
Princesse, je vous supplie de rentrer !Princesse, je vous supplie de rentrer !
IOKANAAN
Ange du Seigneur Dieu, que fais-tu ici avec ton glaive ? Qui cherches-tu dans cet immonde palais ? … Le jour de celui qui mourra en robe d’argent n’est pas venu.
SALOMÉ
Iokanaan !
IOKANAAN
Qui parle ?
SaloméSALOMÉ
Iokanaan ! Je suis amoureuse de ton corps, Iokanaan ! Ton corps est blanc comme le lis, le lis d’un pré que le faucheur n’a jamais fauché. Ton corps est blanc comme les neiges sur les montagnes de Judée. Les roses du jardin de la reine d’Arabie ne sont pas aussi blanches que ton corps. Ni les roses de la reine d’Arabie[,] ni les pieds de l’aurore sur les feuilles, ni le sein de la lune quand elle couche sur le sein de la mer. Il n’y a rien au monde aussi [sic] blanc que ton corps. Laisse-moi toucher, toucher ton corps.Iokanaan ! Je suis amoureuse de ton corps. Ton corps est blanc comme le lis d’un pré que le faucheur n’a jamais fauché. Ton corps est blanc comme les neiges qui couchent sur les montagnes, comme les neiges qui couchent sur les montagnes de Judée, et descendent dans les vallées. Les roses du jardin de la reine d’Arabie ne sont pas aussi blanches que ton corps. Ni les roses du jardin de la reine d’Arabie, du jardin parfumé de la reine d’Arabie, ni les pieds de l’aurore qui trépignent sur les feuilles, ni le sein de la lune quand elle couche sur le sein de la mer … Il n’y a rien au monde d’aussi blanc que ton corps. Laisse-moi toucher ton corps !
IokanaanIOKANAAN
Arrière, fille de Babylone ! C’est par la femme que le mal est entré dans le monde. Ne me parlez pas. Je ne veux pas t’écouter. Je n’écoute que les paroles du Seigneur Dieu.Arrière, fille de Babylone ! C’est par la femme que le mal est entré dans le monde. Ne me parlez pas. Je ne veux pas t’écouter. Je n’écoute que les paroles du Seigneur Dieu.
SaloméSALOMÉ
Ton corps est hideux. Il est comme le corps d’un lépreux. Il est comme un mur de plâtre où les vipères sont passées, comme un mur de plâtre où les scorpions ont fait leur nid. Il est comme un sépulcre blanchi qui est plein de choses dégoûtantes. Il est horrible. Il est horrible ton corps ! … C’est de tes cheveux que je suis amoureuse, Iokanaan. Tes cheveux ressemblent à des grappes de raisins, des raisins noirs qui pendent des vignes d’Édom dans le pays des Édomites. Tes cheveux sont comme les cèdres, les grands cèdres du Liban ; les cèdres qui donnent de l’ombre aux lions et aux voleurs. Les longues nuits noires, les nuits où la lune ne se montre pas, où les étoiles ont peur[,] ne sont pas aussi noires. Le silence dans les forêts[.] Il n’est rien au monde aussi [sic] noir que tes cheveux. Laisse-moi toucher, toucher tes cheveux.Ton corps est hideux. Il est comme le corps d’un lépreux. Il est comme un mur de plâtre où les vipères sont passées, comme un mur de plâtre où les scorpions ont fait leur nid. Il est comme un sépulcre blanchi, et qui est plein de choses dégoûtantes. Il est horrible, il est horrible ton corps ! … C’est de tes cheveux que je suis amoureuse, Iokanaan. Tes cheveux ressemblent à des grappes de raisins, à des grappes de raisins noirs qui pendent des vignes d’Edom dans le pays des Edomites. Tes cheveux sont comme les cèdres du Liban, comme les grands cèdres du Liban qui donnent de l’ombre aux lions et aux voleurs qui veulent se cacher pendant la journée. Les longues nuits noires, les nuits où la lune ne se montre pas, où les étoiles ont peur, ne sont pas aussi noires. Le silence qui demeure dans les forêts n’est pas aussi noir. Il n’y a rien au monde d’aussi noir que tes cheveux … Laisse-moi toucher tes cheveux.
IokanaanIOKANAAN
Arrière, fille de Sodome ! Ne me touchez pas. Il ne faut pas profaner le temple du Seigneur Dieu.Arrière, fille de Sodome ! Ne me touchez pas. Il ne faut pas profaner le temple du Seigneur Dieu.
SaloméSALOMÉ
Tes cheveux sont horribles. Ils sont couverts de boue et de poussière. On dirait une couronne d’épines qu’on a placée sur ton front. On dirait un nœud de serpents noirs qui se tordent autour de ton cou. Je n’aime pas tes cheveux … C’est de ta bouche que je suis amoureuse, Iokanaan. C’est de ta bouche que je suis amoureuse, Iokanaan. Ta bouche est comme une bande d’écarlate sur une tour d’ivoire. Elle est comme une pomme de grenade coupée par un couteau d’ivoire. Les fleurs de grenade dans les jardins de Tyr[,] plus rouges que les roses[,] ne sont pas aussi rouges. Les cris rouges des trompettes qui annoncent l’arrivée des rois et font peur à l’ennemi[,] ne sont pas aussi rouges que ta bouche. Ta bouche est plus rouge que les pieds de ceux qui foulent le vin dans les pressoirs. Elle est plus rouge que les pieds des colombes qui demeurent dans les temples. Ta bouche est comme une branche de corail dans le crépuscule de la mer, le vermillon que les rois prennent dans les mines de Moab … (éperdue) Il n’y a rien aussi [sic] rouge que ta bouche. Ta bouche laisse-moi baiser.Tes cheveux sont horribles. Ils sont couverts de boue et de poussière. On dirait une couronne d’épines qu’on a placée sur ton front. On dirait un nœud de serpents noirs qui se tortillent autour de ton cou. Je n’aime pas tes cheveux … C’est de ta bouche que je suis amoureuse, Iokanaan. Ta bouche est comme une bande d’écarlate sur une tour d’ivoire. Elle est comme une pomme de grenade coupée par un couteau d’ivoire. Les fleurs de grenade qui fleurissent dans les jardins de Tyr et sont plus rouges que les roses, ne sont pas aussi rouges. Les cris rouges des trompettes qui annoncent l’arrivée des rois, et font peur à l’ennemi ne sont pas aussi rouges. Ta bouche est plus rouge que les pieds de ceux qui foulent le vin dans les pressoirs. Elle est plus rouge que les pieds des colombes qui demeurent dans les temples et sont nourries par les prêtres. Elle est plus rouge que les pieds de celui qui revient d’une forêt où il a tué un lion et vu des tigres dorés. Ta bouche est comme une branche de corail que des pêcheurs ont trouvée dans le crépuscule de la mer et qu’ils réservent pour les rois … ! Elle est comme le vermillon que les Moabites trouvent dans les mines de Moab et que les rois leur prennent. Elle est comme l’arc du roi des Perses qui est peint avec du vermillon et qui a des cornes de corail. Il n’y a rien au monde d’aussi rouge que ta bouche … laisse-moi baiser ta bouche.
IokanaanIOKANAAN
(à voix basse, d’un sourd frisson)
Jamais, fille de Babylone ! Fille de Sodome ! Jamais !Jamais ! fille de Babylone ! Fille de Sodome ! jamais.
SaloméSALOMÉ
Je baiserai ta bouche, Iokanaan. Je baiserai ta bouche …Je baiserai ta bouche, Iokanaan. Je baiserai ta bouche.
NarrabothLE JEUNE SYRIEN
(désespéré)
Princesse, princesse, toi qui es comme un bouquet de myrrhe, toi qui es la colombe des colombes, ne regarde pas cet homme. Ne lui dis pas de telles choses. Je ne peux pas les souffrir.Princesse, princesse, toi qui es comme un bouquet de myrrhe, toi qui es la colombe des colombes, ne regarde pas cet homme, ne le regarde pas ! Ne lui dis pas de telles choses. Je ne peux pas les souffrir … Princesse, princesse, ne dis pas de ces choses.
SaloméSALOMÉ
Je baiserai ta bouche, Iokanaan. Je baiserai ta bouche …Je baiserai ta bouche, Iokanaan.
LE JEUNE SYRIEN
(Narraboth se tue et tombe entre Salomé et Iokanaan.)
Ah !
(Il se tue et tombe entre Salomé et Iokanaan.)
LE PAGE D’HÉRODIAS
Le jeune Syrien s’est tué ! le jeune capitaine s’est tué ! Il s’est tué celui qui était mon ami ! Je lui avais donné une petite boîte de parfums, et des boucles d’oreilles faites en argent, et maintenant il s’est tué ! Ah ! n’a-t-il pas prédit qu’un malheur allait arriver ? … Je l’ai prédit moi-même et il est arrivé. Je savais bien que la lune cherchait un mort, mais je ne savais pas que c’était lui qu’elle cherchait. Ah ! pourquoi ne l’ai-je pas caché de la lune ? Si je l’avais caché dans une caverne elle ne l’aurait pas vu.
LE PREMIER SOLDAT
Princesse, le jeune capitaine vient de se tuer.
SaloméSALOMÉ
Je baiserai ta bouche, Iokanaan.Laisse-moi baiser ta bouche, Iokanaan.
IokanaanIOKANAAN
N’avez-vous pas peur, fille d’Hérodias ?N’avez-vous pas peur, fille d’Hérodias ? Ne vous ai-je pas dit que j’avais entendu dans le palais le battement des ailes de l’ange de la mort, et l’ange n’est-il pas venu ?
SaloméSALOMÉ
Laisse-moi baiser ta bouche, Iokanaan.Laisse-moi baiser ta bouche.
IokanaanIOKANAAN
Fille d’adultère, il n’y a qu’un homme qui puisse vous sauver. Allez le chercher[.] C’est celui dont je t’ai parlé. Il est dans un bateau sur la mer de Galilée[,] et il parle à ses disciples. Agenouillez-vous au bord de la mer et appelez-le, appelez-le par son nom. Quand il viendra vers vous, et il vient vers tous ceux qui l’appellent, prosternez-vous à ses pieds et demandez-lui la rémission de vos péchés.Fille d’adultère, il n’y a qu’un homme qui puisse te sauver. C’est celui dont je t’ai parlé. Allez le chercher. Il est dans un bateau sur la mer de Galilée, et il parle à ses disciples. Agenouillez-vous au bord de la mer, et appelez-le par son nom. Quand il viendra vers vous, et il vient vers tous ceux qui l’appellent, prosternez-vous à ses pieds et demandez lui la rémission de vos péchés.
SaloméSALOMÉ
(désespérée)
Je baiserai ta bouche, Iokanaan.Laisse-moi baiser ta bouche.
IokanaanIOKANAAN
Soyez maudite, fille d’une mère incestueuse, soyez maudite.Soyez maudite, fille d’une mère incestueuse, soyez maudite.
SaloméSALOMÉ
Je baiserai ta bouche, Iokanaan.Je baiserai ta bouche, Iokanaan.
IokanaanIOKANAAN
Je ne te regarderai pas. Tu es maudite, Salomé. Tu es maudite, tu es maudite. Tu es maudite.Je ne veux pas te regarder. Je ne te regarderai pas. Tu es maudite, Salomé, tu es maudite.
(Il descend dans la citerne.)(Il descend dans la citerne.)
SALOMÉ
Je baiserai ta bouche, Iokanaan, je baiserai ta bouche.
LE PREMIER SOLDAT
Il faut faire transporter le cadavre ailleurs. Le tétrarque n’aime pas regarder les cadavres, sauf les cadavres de ceux qu’il a tués lui-même.
LE PAGE D’HÉRODIAS
Il était mon frère, et plus proche qu’un frère. Je lui ai donné une petite boîte qui contenait des parfums, et une bague d’agate qu’il portait toujours à la main. Le soir nous nous promenions au bord de la rivière et parmi les amandiers et il me racontait des choses de son pays. Il parlait toujours très bas. Le son de sa voix ressemblait au son de la flûte d’un joueur de flûte. Aussi il aimait beaucoup à se regarder dans la rivière. Je lui ai fait des reproches pour cela.
SECOND SOLDAT
Vous avez raison ; il faut cacher le cadavre. Il ne faut pas que le tétrarque le voie.
PREMIER SOLDAT
Le tétrarque ne viendra pas ici. Il ne vient jamais sur la terrasse. Il a trop peur du prophète.
Quatrième Scène
(Entrée d’Hérode, d’Hérodias et de toute la cour)(Entrée d’Hérode, d’Hérodias et de toute la cour.)
HérodeHÉRODE
Où est Salomé ? Où est la princesse ? Pourquoi n’est-elle pas retournée au festin comme je le lui avais commandé ? (apercevant Salomé accroupie derrière la citerne) Ah ! la voilà !Où est Salomé ? Où est la princesse ? Pourquoi n’est-elle pas retournée au festin comme je le lui avais commandé ? ah ! la voilà !
HérodiasHÉRODIAS
Il ne faut pas la regarder. Vous la regardez toujours.Il ne faut pas la regarder. Vous la regardez toujours !
HérodeHÉRODE
La lune a l’air très étrange ce soir. N’est-ce pas, très étrange ? On dirait une femme hystérique qui va chercher des amants partout. N’est-ce pas qu’elle chancelle comme une femme ivre …La lune a l’air très étrange ce soir. N’est-ce pas que la lune a l’air très étrange ? On dirait une femme hystérique, une femme hystérique qui va cherchant des amants partout. Elle est nue aussi. Elle est toute nue. Les nuages cherchent à la vêtir, mais elle ne veut pas. Elle se montre toute nue dans le ciel. Elle chancelle à travers les nuages comme une femme ivre … Je suis sûr qu’elle cherche des amants … N’est-ce pas qu’elle chancelle comme une femme ivre ? Elle ressemble à une femme hystérique, n’est-ce pas ?
HérodiasHÉRODIAS
Non. La lune ressemble à la lune, c’est tout. Rentrons !Non. La lune ressemble à la lune, c’est tout. Rentrons … Vous n’avez rien à faire ici.
HérodeHÉRODE
Je resterai. Manassé, mettez des tapis là. Allumez des flambeaux. Je boirai encore du vin avec mes hôtes. Ah ! j’ai glissé ! j’ai glissé dans le sang. C’est un mauvais présage. Pourquoi y a-t-il du sang ici ? Et ce cadavre ? Que fait ici ce cadavre ? Enfin, qui est-ce ? Je ne veux pas le regarder.Je resterai ! Manassé, mettez des tapis là. Allumez des flambeaux. Apportez les tables d’ivoire, et les tables de jaspe. L’air ici est délicieux. Je boirai encore du vin avec mes hôtes. Aux ambassadeurs de César il faut faire tout honneur.
HÉRODIAS
Ce n’est pas à cause d’eux que vous restez.
HÉRODE
Oui, l’air est délicieux. Viens Hérodias, nos hôtes nous attendent. Ah ! j’ai glissé ! j’ai glissé dans le sang ! C’est d’un mauvais présage. C’est d’un très mauvais présage. Pourquoi y a-t-il du sang ici ? … Et ce cadavre ? Que fait ici ce cadavre ? Pensez-vous que je sois comme le roi d’Egypte qui ne donne jamais un festin sans montrer und cadavre à ses hôtes ? Enfin, qui est-ce ? Je ne veux pas le regarder.
1er SoldatPREMIER SOLDAT
C’est notre capitaine, Seigneur.C’est notre capitaine, Seigneur. C’est le jeune Syrien que vous avez fait capitaine il y a trois jours seulement.
HérodeHÉRODE
Je n’ai donné aucun ordre de le tuer.Je n’ai donné aucun ordre de le tuer.
1er SoldatSECOND SOLDAT
Il s’est tué lui-même, Seigneur.Il s’est tué lui-même, Seigneur.
HÉRODE
Pourquoi ? Je l’ai fait capitaine !
SECOND SOLDAT
Nous ne savons pas, Seigneur. Mais il s’est tué lui-même.
HérodeHÉRODE
Cela me semble étrange. Le jeune Syrien[,] il était beau. Je me rappelle que je l’ai vu regardant Salomé d’une façon langoureuse … Emportez-le …Cela me semble étrange. Je pensais qu’il n’y avait que les philosophes romains qui se tuaient. N’est-ce pas, Tigellin, que les philosphes à Rome se tuent ?
TIGELLIN
Il y en a qui se tuent, Seigneur. Ce sont les Stoïciens. Ce sont des gens très grossiers. Enfin ce sont des gens très ridicules. Moi je les trouve très ridicules.
HÉRODE
Moi aussi. C’est ridicule de se tuer.
TIGELLIN
On rit beaucoup d’eux à Rome. L’empereur a fait un poème satirique contre eux. On le récite partout.
(On emporte le cadavre.)
HÉRODE
Ah ! Il a fait un poème satirique contre eux ? César est merveilleux. Il peut tout faire … C’est étrange qu’il se soit tué le jeune Syrien. Je le regrette. Oui, je le regrette beaucoup. Car il était beau. Il était même très beau. Il avait des yeux très langoureux. Je me rappelle que je l’ai vu regardant Salomé d’une façon langoureuse. En effet, j’ai trouvé qu’il l’avait un peu trop regardée.
HÉRODIAS
Il y en a d’autres qui la regardent trop.
HérodeHÉRODE
Il fait froid ici. Il y a du vent ici. N’est-ce pas qu’il y a du vent ?Son père était roi. Je l’ai chassé de son royaume. Et de sa mère qui était reine vous avez fait une esclave, Hérodias. Ainsi, il était ici comme un hôte. C’était à cuase de cela que je l’avais fait capitaine. Je regrette qu’il soit mort … Enfin, pourquoi avez-vous laissé le cadavre ici ? Il faut l’emporter ailleurs. Je ne veux pas le voir … Emportez-le … (On emporte le cadavre) Il fait froid ici. Il y a du vent ici. N’est-ce pas qu’il y a du vent ?
HérodiasHÉRODIAS
(sèchement)
Mais non. Il n’y a pas de vent.Mais non. Il n’y a pas de vent.
HérodeHÉRODE
Mais si, il y a du vent … Et j’entends dans l’air quelque chose comme un battement d’ailes, d’ailes gigantesques. Ne l’entendez-vous pas ?Mais si, il y a du vent … Et j’entends dans l’air quelque chose comme un battement d’ailes, comme un battement d’ailes gigantesques. Ne l’entendez-vous pas ?
HérodiasHÉRODIAS
Je n’entends rien.Je n’entends rien.
HérodeHÉRODE
Je ne l’entends plus moi-même. Mais je l’ai entendu. C’était le vent sans doute. C’est passé. Mais non, je l’entends encore. Ne l’entendez-vous pas ? C’est tout à fait comme un battement d’ailes …Je ne l’entends plus moi-même. Mais je l’ai entendu. C’était le vent sans doute. C’est passé. Mais non, je l’entends encore. Ne l’entendez-vous pas ? C’est tout à fait comme un battement d’ailes.
HérodiasHÉRODIAS
Vous êtes malade. Rentrons.Je vous dit qu’il n’y a rien. Vous êtes malade. Rentrons.
HérodeHÉRODE
Je ne suis pas malade. C’est votre fille qui a l’air très malade. Jamais je ne l’ai vue si pâle.Je ne suis pas malade. C’est votre fille qui est malade. Elle a l’air très malade votre fille. Jamais je ne l’ai vue si pâle.
HérodiasHÉRODIAS
Je vous ai dit de ne pas la regarder.Je vous ai dit de ne pas la regarder.
HérodeHÉRODE
Versez du vin. (On apporte du vin.) Salomé, venez boire un peu de vin avec moi : un vin très exquis. C’est César lui-même qui me l’a envoyé. Trempez là-dedans vos petites lèvres, vos petites lèvres rouges, et ensuite je viderai la coupe.Versez du vin. (On apporte du vin) Salomé, venez boire un peu de vin avec moi. J’ai un vin ici qui est exquis. C’est César lui-même qui me l’a envoyé. Trempez là-dedans vos petites lèvres rouges et ensuite je viderai la coupe.
SaloméSALOMÉ
Je n’ai pas soif, tétrarque.Je n’ai pas soif, tétrarque.
HérodeHÉRODE
Vous entendez comme elle me répond, votre fille ?Vous entendez comme elle me répond, votre fille.
HérodiasHÉRODIAS
Je trouve qu’elle a bien raison. Pourquoi la regardez-vous toujours ?Je trouve qu’elle a bien raison. Pourquoi la regardez-vous toujours ?
HérodeHÉRODE
Apportez des fruits. (On apporte des fruits.) Salomé, venez, venez manger des fruits avec moi. J’aime beaucoup voir dans un fruit la morsure, la morsure de tes petites dents. Mordez un tout petit morceau de ce fruit, un tout petit morceau[,] et ensuite je mangerai ce qui reste.Apportez des fruits. (On apporte des fruits) Salomé, venez manger du fruit avec moi. J’aime beaucoup voir dans un fruit la morsure de tes petites dents. Mordez un tout petit morceau de ce fruit, et ensuite je mangerai ce qui reste.
SaloméSALOMÉ
Je n’ai pas faim, tétrarque.Je n’ai pas faim, tétrarque.
HérodeHÉRODE
(à Hérodias)(à Hérodias)
Voilà comme vous l’avez élevée[,] votre fille.Voilà comme vous l’avez élevée, votre fille.
HérodiasHÉRODIAS
Ma fille et moi, nous descendons d’une race royale. Quant à toi, ton grand-père gardait des chameaux ! Aussi, c’était un voleur !Ma fille et moi, nous descendons d’une race royale. Quant à toi, ton grand père gardait des chameaux ! Aussi, c’était un voleur !
HÉRODE
Tu mens !
HÉRODIAS
Tu sais bien que c’est la vérité.
HérodeHÉRODE
Salomé, viens t’asseoir près de moi. Je te donnerai le trône de ta mère.Salomé, viens t’asseoir près de moi. Je te donnerai le trône de ta mère.
SaloméSALOMÉ
Je ne suis pas fatiguée, tétrarque.Je ne suis pas fatiguée, tétrarque.
HérodiasHÉRODIAS
Vous voyez bien ce qu’elle pense de vous.Vous voyez bien ce qu’elle pense de vous.
HérodeHÉRODE
Apportez … Qu’est-ce que je veux ? Je ne sais pas. Ah ! Ah ! Je m’en souviens …Apportez … Qu’est-ce que je veux ? Je ne sais pas. Ah ! Ah ! Je m’en souviens …
Voix d’IokanaanLA VOIX D’IOKANAAN
Ce que j’ai prédit est arrivé. Voici le jour dont j’avais parlé.Voici le temps ! Ce que j’ai prédit est arrivé, dit le Seigneur Dieu. Voici le jour dont j’avais parlé.
HérodiasHÉRODIAS
Faites-le taire ! Cet homme vomit toujours des injures contre moi.Faites-le taire. Je ne veux pas entendre sa voix. Cet homme vomit toujours des injures contre moi.
HérodeHÉRODE
Il n’a rien dit contre vous. Aussi, c’est un très grand prophète.Il n’a rien dit contre vous. Aussi, c’est un très grand prophète.
HérodiasHÉRODIAS
Je ne crois pas aux prophètes. Je sais bien que vous avez peur de lui.Je ne crois pas aux prophètes. Est-ce qu’un homme peut dire ce qui doit arriver ? Personne ne le sait. Aussi, il m’insulte toujours. Mais je pense que vous avez peur de lui … Enfin, je sais bien que vous avez peur de lui.
HérodeHÉRODE
Moi, je n’ai peur de personne.Je n’ai pas peur de lui. Je n’ai peur de personne.
HérodiasHÉRODIAS
Si, vous avez peur de lui. Pourquoi ne pas le livrer aux juifs qui depuis six mois vous le demandent ?Si, vous avez peur de lui. Si vous n’aviez pas peur de lui, pourquoi ne pas le livrer aux Juifs qui depuis six mois vous le demandent ?
1er JuifUN JUIF
En effet, Seigneur, il serait mieux de nous le livrer.En effet, Seigneur, il serait mieux de nous le livrer.
HérodeHÉRODE
Assez sur ce point. Je ne veux pas vous le livrer. C’est un saint homme. C’est un homme qui a vu Dieu.Assez sur ce point. Je vous ai déjà donné ma réponse. Je ne veux pas vous le livrer. C’est un saint homme. C’est un homme qui a vu Dieu.
1er JuifUN JUIF
C’est impossible. Personne n’a vu Dieu depuis le prophète Élie. Lui, c’est le dernier qui ait vu Dieu. En ce temps-ci[,] Dieu ne se montre pas. Il se cache. Et par conséquent il y a de grands malheurs dans le pays, de grands malheurs.Cela, c’est impossible. Personne n’a vu Dieu depuis le prophète Élie. Lui, c’est le dernier qui ait vu Dieu. En ce temps-ci, Dieu ne se montre pas. Il se cache. Et par conséquent il y a de grands malheurs dans le pays.
2d JuifUN AUTRE JUIF
Enfin, on ne sait pas si le prophète Élie a réellement vu Dieu. C’était plutôt l’ombre de Dieu qu’il a vue.Enfin, on ne sait pas si le prophète Élie a réellement vu Dieu. C’était plutôt l’ombre de Dieu qu’il a vue.
3e JuifUN TROISIÈME JUIF
Dieu ne se cache, ne se cache jamais. Il se montre toujours et dans toute chose[.] Dieu est dans le mal comme dans le bien.Dieu ne se cache jamais. Il se montre toujours et dans toute chose. Dieu est dans le mal comme dans le bien.
4e JuifUN QUATRIÈME JUIF
Il ne faut pas dire cela. C’est une idée très dangereuse d’Alexandrie. Et les Grecs sont des gentils.Il ne faut pas dire cela. C’est une idée très dangereuse. C’est une idée qui vient des écoles d’Alexandrie où on enseigne la philosophie grecque. Et les Grecs sont des gentils. Ils ne sont pas même circoncis.
5e JuifUN CINQUIÈME JUIF
On ne peut pas savoir comment Dieu agit, ses voies sont très mystérieuses. Le nécessaire c’est de se soumettre à tout. Dieu est très fort.On ne peut pas savoir comment Dieu agit, ses voies sont très mystérieuses. Peut-être ce que nous appelons le mal est le bien, et ce que nous appelons le bien est le mal. On ne peut rien savoir. Le nécessaire c’est de se soumettre à tout. Dieu est très fort. Il brise au même temps les faibles et les forts. Il n’a aucun souci de personne.
1er JuifLE PREMIER JUIF
C’est vrai cela. Dieu est terrible. Mais cet homme, cet homme n’a jamais vu Dieu. Personne n’a vu Dieu depuis le prophète Élie. C’est le dernier, c’est le dernier qui ait vu Dieu. En ce temps-ci Dieu ne se montre pas, ne se montre pas, ne se montre pas. Dieu se cache. Dieu se cache. Il y a de grands malheurs dans le pays. Il y a de grands malheurs dans le pays. Il y a de grands malheurs, grands malheurs dans le pays. C’est le dernier, c’est le dernier qui ait vu Dieu. C’est le dernier qui ait vu Dieu. Dieu ne se montre pas. Dieu ne se montre pas. Personne n’a vu Dieu depuis le prophète. C’est le dernier qui ait vu Dieu. Personne n’a vu Dieu depuis le prophète[.]C’est vrai cela. Dieu est terrible. Il brise les faibles et les forts comme on brise le blé dans un mortier. Mais cet homme n’a jamais vu Dieu. Personne n’a vu Dieu depuis le prophète Élie.
2d Juif
Enfin, on ne sait pas si le prophète Élie a réellement vu Dieu. C’était plutôt l’ombre de Dieu, c’était plutôt, c’était plutôt l’ombre de Dieu qu’il a vue. Enfin, on ne sait pas si le prophète Élie a réellement vu Dieu. Dieu est terrible. Il brise les faibles et les forts. Il brise en même temps les faibles et les forts. C’était plutôt l’ombre de Dieu …
3e Juif
Dieu ne se cache, Dieu ne se cache jamais. Dieu ne se cache jamais. Il se montre toujours et dans toute chose. Dieu est dans le mal comme dans le bien. Dieu ne se cache jamais. Dieu ne se cache jamais, jamais. Dieu se montre toujours et dans toute chose. Dieu est dans le mal comme dans le bien.
4e Juif
(au troisième Juif)
Il ne faut pas dire cela. C’est une idée très dangereuse d’Alexandrie. Les Grecs sont des gentils. Ils ne sont pas même circoncis. Les Grecs sont des gentils. Ils ne sont pas même circoncis. On ne peut pas savoir comment Dieu agit. Dieu est très fort. On ne peut pas savoir comment Dieu agit. Dieu est très fort, il brise les faibles et les forts. Dieu est fort.
5e Juif
On ne peut pas savoir comment Dieu agit. Ses voies sont très mystérieuses. Ses voies sont très mystérieuses. On ne peut pas savoir comment Dieu agit. Peut-être ce que nous appelons le mal est le bien. Et ce que nous appelons le bien est le mal. Il n’a aucun souci de personne.
HérodiasHÉRODIAS
(à Hérode)
Faites-les taire. Ils m’ennuient.Faites-les taire. Ils m’ennuient.
HérodeHÉRODE
Mais j’ai entendu dire que Iokanaan lui-même est votre prophète Élie.Mais j’ai entendu dire qu’Iokanaan lui-même est votre prophète Élie.
1er JuifLE JUIF
Cela ne se peut pas. Depuis le temps du prophète Élie il y a plus de trois cents ans.Cela ne se peut pas. Depuis le temps du prophète Élie il y a plus de trois cents ans.
HÉRODE
Il y en a qui disent que c’est le prophète Élie.
Un NazaréenUN NAZARÉEN
Moi, je suis sûr que c’est le prophète Élie.Moi, je suis sûr que c’est le prophète Élie.
LE JUIF
Mais non, ce n’est pas le prophète Élie.
2d Juif
Mais non, ce n’est pas le prophète Élie.
3e Juif
Mais non, ce n’est pas le prophète Élie.
1er Juif
Ça ne se peut pas. Depuis le temps du prophète Élie il y a plus de trois cents ans.
5e Juif
Mais non, ce n’est pas le prophète Élie.
4e Juif
Mais non, ce n’est pas le prophète Élie.
Hérodias
Faites-les taire !
Voix d’IokanaanLA VOIX D’IOKANAAN
Le jour est venu, le jour du Seigneur, et j’entends sur les montagnes les pieds de celui qui sera le Sauveur du monde.Le jour est venu, le jour du Seigneur, et j’entends sur les montagnes les pieds de celui qui sera le Sauveur du monde.
HérodeHÉRODE
Qu’est-ce que cela veut dire ? Le Sauveur du monde ?Qu’est-ce que cela veut dire ? Le Sauveur du monde ?
TIGELLIN
C’est un titre que prend César.
HÉRODE
Mais César ne vient pas en Judée. J’ai reçu hier des lettres de Rome. On ne m’a rien dit de cela. Enfin, vous, Tigellin, qui avez été à Rome pendant l’hiver, vous n’avez rien entendu dire de cela ?
TIGELLIN
En effet, Seigneur, je n’en ai pas entendu parler. J’explique seulement le titre. C’est un des titres de César.
HÉRODE
Il ne peut pas venir, César. Il est goutteux. On dit qu’il a des pieds d’éléphant. Aussi il y a des raisons d’Etat. Celui qui quitte Rome perd Rome. Il ne viendra pas. Mais, enfin, c’est le maître, César. Il viendra s’il veut. Mais je ne pense pas qu’il vienne.
LE PREMIER NAZARÉEN
Ce n’est pas de César que le prophète a parlé, Seigneur.
HÉRODE
Pas de César ?
LE PREMIER NAZARÉEN
Non, Seigneur.
HÉRODE
De qui donc a-t-il parlé ?
1er NazaréenLE PREMIER NAZARÉEN
Le Messie est venu.Du Messie qui est venu.
1er JuifUN JUIF
(criant)
Le Messie n’est pas venu.Le Messie n’est pas venu.
1er NazaréenLE PREMIER NAZARÉEN
Il est venu, et il fait des miracles partout. À l’occasion d’un mariage qui a eu lieu dans une ville de Galilée, il a changé de l’eau en vin. Il a guéri des aveugles. On l’a vu sur une montagne parlant avec des anges.Il est venu, et il fait des miracles partout.
HÉRODIAS
Oh ! Oh ! les miracles. Je ne crois pas aux miracles. J’en ai vu trop. (Au page.) Mon éventail.
LE PREMIER NAZARÉEN
Cet homme fait de véritables miracles. Ainsi, à l’occasion d’un mariage qui a eu lieu dans une petite ville de Galilée, une ville assez importante, il a changé de l’eau en vin. Des personnes qui étaient là me l’ont dit. Aussi il a guéri deux lépreux qui étaient assis devant la porte de Capharnaüm, seulement en les touchant.
LE SECOND NAZARÉEN
Non, c’etaient deux aveugles qu’il a guéris à Capharnaüm.
2d Nazaréen
Aussi il a guéri deux lépreux seulement en les touchant.
LE PREMIER NAZARÉEN
Non, c’étaient des lépreux. Mais il a guéri des aveugles aussi, et on l’a vu sur une montagne parlant avec des anges.
UN SADDUCÉEN
Les anges n’existent pas.
UN PHARISIEN
Les anges existent, mais je ne crois pas que cet homme leur ait parlé.
LE PREMIER NAZARÉEN
Il a été vu par une foule de personnes, parlant avec des anges.
UN SADDUCÉEN
Pas avec des anges.
Hérodias
Oh ! Oh ! Je ne crois pas aux miracles. J’en ai vu trop.
HÉRODIAS
Comme ils m’agacent ces hommes ! Ils sont bêtes ! Ils sont tout à fait bêtes. (Au page) Eh ! bien, mon éventail. (Le page lui donne l’éventail) Vous avez l’air de rêver. Il ne faut pas rêver. Les rêveurs sont des malades. (Elle frappe le page avec son éventail.)
LE SECOND NAZARÉEN
Aussi il y a le miracle de la fille de Jaïre.
LE PREMIER NAZARÉEN
Mais oui, c’est très certain cela. On ne peut pas le nier.
HÉRODIAS
Ces gens là sont fous. Ils ont trop regardé la lune. Dites-leur de se taire.
HÉRODE
Qu’est-ce que c’est que cela le miracle de la fille de Jaïre ?
1er NazaréenLE PREMIER NAZARÉEN
La fille de Jaïre était morte. Il l’a ressuscitée.La fille de Jaïre était morte. Il l’a ressuscitée.
HérodeHÉRODE
(effrayé)
Ah ! Il ressuscite les morts ?Il ressuscite les morts ?
1er et 2d NazaréenLE PREMIER NAZARÉEN
Oui, Seigneur. Il ressuscite les morts.Oui, Seigneur. Il ressuscite les morts.
HérodeHÉRODE
Je ne veux pas qu’il fasse cela. Ce serait terrible si les morts revenaient. Où est-il à présent[,] cet homme ?Je ne veux pas qu’il fasse cela. Je lui défends de faire cela. Je ne permets pas qu’on ressuscite les morts. Il faut chercher cet homme et lui dire que je ne lui permets pas de ressusciter les morts. Où est-il à présent, cet homme ?
1er NazaréenLE SECOND NAZARÉEN
Il est partout, Seigneur, mais il est très difficile de le trouver.Il est partout, Seigneur, mais il est très difficile de le trouver.
Hérode
Mais il faut le trouver.
2d NazaréenLE PREMIER NAZARÉEN
On dit qu’il est à Samarie à présent.On dit qu’il est à Samarie à présent.
UN JUIF
On voit bien que ce n’est pas le Messie, s’il est en Samarie. Ce n’est pas aux Samaritains que les Messie viendra. Les Samaritiains sont maudits. Ils n’apportent jamais d’offrandes au temple.
1er NazaréenLE SECOND NAZARÉEN
Il a quitté Samarie il y a quelques jours. Moi, je crois qu’en ce moment il est dans les environs de Jérusalem.Il a quitté Samarie il y a quelques jours. Moi, je crois qu’en ce moment-ci il est dans les environs de Jérusalem.
LE PREMIER NAZARÉEN
Mais non, il n’est pas là. Je viens justement d’arriver de Jérusalem. On n’a pas entendu parler de lui depuis deux mois.
HérodeHÉRODE
Enfin, je ne permets pas qu’il ressuscite les morts. Ce serait terrible si les morts revenaient.Enfin, cela ne fait rien ! Mais il faut le trouver et lui dire de ma part que je ne lui permets pas de ressusciter les morts. Changer de l’eau en vin, guérir les lépreux et les aveugles … il peut faire tout cela s’il le veut. Je n’ai rien à dire contre cela. En effet, je trouve que guérir les lépreux est une bonne action. Mais je ne permets pas qu’il ressuscite les morts … Ce serait terrible, si les morts reviennent.
Voix d’IokanaanLA VOIX D’IOKANAAN
Ah ! l’impudique ! la prostituée ! La fille de Babylone ! Voici ce que dit le Seigneur.Ah ! l’impudique ! la prostituée ! Ah ! la fille de Babylone avec ses yeux d’or et ses paupières dorées ! Voici ce que dit le Seigneur Dieu. Faites venir contre elle une multitude d’hommes. Que le peuple prenne des pierres et la lapide …
HérodiasHÉRODIAS
(furieuse)
Mais cʼest infâme. Faites-le taire ! Faites-le taire !
Voix d’IokanaanLA VOIX D’IOKANAAN
Faites venir contre elle une multitude d’hommes. Que le peuple prenne des pierres et la lapide.Que les capitaines de guerre la percent de leurs épées, qu’ils l'écrasent sous leurs boucliers.
HerodiasHÉRODIAS
C’est infâme, c’est infame !Mais cʼest infâme.
Voix d’Iokanaan
Que les capitaines de guerre la percent de leurs épées, qu’ils l'écrasent sous leurs boucliers !
Hérodias
Faites-le taire, faites-le taire !
Voix d’IokanaanLA VOIX D’IOKANAAN
C’est ainsi que j’abolirai les crimes de dessus la terre, et que toutes les femmes apprendront à ne pas imiter les abominations de celle-là.C’est ainsi que j’abolirai les crimes de dessus la terre, et que toutes les femmes apprendront à ne pas imiter les abominations de celle-là.
HérodiasHÉRODIAS
Vous entendez ce qu’il dit contre moi ? Vous le laissez insulter votre épouse ?Vous entendez ce qu’il dit contre moi ? Vous le laissez insulter votre épouse ?
HérodeHÉRODE
Mais il n’a pas dit votre nom.Mais il n’a pas dit votre nom.
HÉRODIAS
Qu’est-ce que cela fait ? Vous savez bien que c’est moi qu’il cherche à insulter. Et je suis votre épouse, n’est-ce pas ?
HÉRODE
Qui, chère et digne Hérodias, vous êtes mon épouse, et vous avez commencé par être l’épouse de mon frère.
HÉRODIAS
C’est vous qui m’avez arrachée de ses bras.
HÉRODE
En effet, j’étais le plus fort … mais ne parlons pas de cela. Je ne veux pas parler de cela. C’est à cause de cela que le prophète a dit des mots d’épouvante. Peut-être à cause de cela va-t-il arriver un malheur. N’en parlons pas … Noble Hérodias, nous oublions nos convives. Verse-moi à boire, ma bien-aimée. Remplissez de vin les grandes coupes d’argent et les grandes coupes de verre. Je vais boire à la santé de César. Il y a des Romains ici, il faut boire à la santé de César.
TOUS
César ! César !
HÉRODE
Vous ne remarquez pas comme votre fille est pâle.
HÉRODIAS
Qu’est-ce que cela vous fait qu’elle soit pâle ou non ?
HÉRODE
Jamais je ne l’ai vue si pâle.
HÉRODIAS
Il ne faut pas la regarder.
Voix d’IokanaanLA VOIX D’IOKANAAN
(solennel)
En ce jour-là[,] le soleil deviendra noir comme un sac de poil, et la lune deviendra comme du sang, et les étoiles du ciel tomberont sur la terre comme les figues vertes tombent d’un figuier. En ce jour-là[,] les rois de la terre auront peur.En ce jour là le soleil deviendra noir comme un sac de poil, et la lune deviendra comme du sang, et les étoiles du ciel tomberont sur la terre comme les figues vertes tombent d’un figuier, et les rois de la terre auront peur.
HérodiasHÉRODIAS
Ah ! Ah ! Ce prophète parle comme un homme ivre … Mais je ne peux pas souffrir le son de sa voix[.] Je déteste sa voix. Ordonnez qu’il se taise.Ah ! Ah ! Je voudrais bien voir ce jour dont il parle, où la lune deviendra comme du sang et où les étoiles tomberont sur la terre comme des figues vertes. Ce prophète parle comme un homme ivre … Mais je ne peux pas souffrir le son de sa voix. Je déteste sa voix. Ordonnez qu’il se taise.
HÉRODE
Mais non. Je ne comprends pas ce qu’il a dit, mais cela peut être un présage.
HÉRODIAS
Je ne crois pas aux présages. Il parle comme un homme ivre.
HÉRODE
Peut-être qu’il est ivre du vin de Dieu !
HÉRODIAS
Quel vin est-ce, le vin de Dieu ? De quelles vignes vient-il ? Dans quel pressoir peut-on le trouver ?
HÉRODE
(il ne quitte plus Salomé du regard).
Tigellin, quand tu as été à Rome dernièrement, est-ce que l’empereur t’a parlé au sujet … ?
TIGELLIN
A quel sujet, Seigneur ?
HÉRODE
A quel sujet ? Ah ! je vous ai adressé une question, n’est-ce pas ? J’ai oublié ce que je voulais savoir.
HÉRODIAS
Vous regardez encore ma fille. Il ne faut pas la regarder. Je vous ai déjà dit cela.
HÉRODE
Vous ne dites que cela.
HÉRODIAS
Je le redis.
HÉRODE
Et la restauration du temple dont on a tant parlé ? Est-ce qu’on va faire quelque chose ? On dit n’est-ce pas que le voile du sanctuaire a disparu ?
HÉRODIAS
C’est toi qui l’a pris. Tu parles à tort et à travers. Je ne veux pas rester ici. Rentrons.
HérodeHÉRODE
Salomé, dansez pour moi.Salomé, dansez pour moi.
HérodiasHÉRODIAS
(violent)
Je ne veux pas qu’elle danse.Je ne veux pas qu’elle danse.
SaloméSALOMÉ
(tranquille)
Ja n’ai aucune envie de danser, tétrarque.Ja n’ai aucune envie de danser, tétrarque.
HérodeHÉRODE
Salomé, fille d’Hérodias, dansez pour moi !Salomé, fille d’Hérodias, dansez pour moi.
HÉRODIAS
Laissez-la tranquille
HÉRODE
Je vous ordonne de danser, Salomé.
SaloméSALOMÉ
Je ne danserai pas, tétrarque.Je ne danserai pas, tétrarque.
HérodiasHÉRODIAS
(riant).
Voilà comme elle vous obéit.Voilà comme elle vous obéit !
HÉRODE
Qu’est-ce que cela me fait qu’elle danse ou non ? Cela ne me fait rien. Je suis heureux ce soir. Je suis très heureux. Jamais je n’ai été si heureux.
LE PREMIER SOLDAT
Il a l’air sombre le tétrarque. N’est-ce pas qu’il a l’air sombre ?
LE SECOND SOLDAT
Il l’air sombre.
HÉRODE
Pourquoi ne serais-je pas heureux ? César, qui est le maître du monde, qui est le maître de tout, m’aime beaucoup. Il vient de m’envoyer des cadeaux de grande valeur. Aussi il m’a promis de citer à Rome le roi de Cappadoce qui est mon ennemi. Peut-être à Rome il le crucifiera. Il peut faire tout ce qu'il veut, César. Enfin, il est le maître. Ainsi vous voyez j’ai le droit d’être heureux. Au fait, je le suis. Je n’ai jamais été si heureux. Il n’y a rien au monde qui puisse gâter mon plaisir.
Voix d’IokanaanLA VOIX D’IOKANAAN
Il sera assis sur son trône, il sera vêtu de pourpre et d’écarlate. Et l’ange du Seigneur Dieu le frappera. Il sera mangé des vers.Il sera assis sur son trône, il sera vêtu de pourpre et d’écarlate. Dans sa main il portera un vase d’or plein de ses blasphèmes. Et l’ange du Seigneur Dieu le frappera. Il sera mangé des vers.
HÉRODIAS
Vous entendez ce qu’il dit de vous. Il dit que vous serez mangé des vers.
HÉRODE
Ce n’est pas de moi qu’il parle. Il ne dit jamais rien contre moi. C’est du roi de Cappadoce qu’il parle, du roi de Cappadoce qui est mon ennemi. C’est celui-là qui sera mangé des vers. Ce n’est pas moi. Jamais il n’a rien dit contre moi, le prophète, sauf que j’ai eu tort de prendre comme épouse l’épouse de mon frère. Peut-être a-t-il raison. En effet, vous étes stérile.
HÉRODIAS
Je suis stérile, moi. Et vous dites cela, vous qui regardez toujours ma fille, vous qui avez voulu la faire danser pour votre plaisir. C’est ridicule de dire cela. Moi j’ai eu un enfant. Vous n’avez jamais eu d’enfant, même d’une de vos esclaves. C’est vous qui êtes stérile, ce n’est pas moi.
HÉRODE
Taisez-vous. Je vous dit que vous êtes stérile. Vous ne m’avez pas donné d’enfant, et le prophète dit que notre mariage n’est pas un vrai mariage. Il dit que c’est un mariage incestueux, un mariage qui apportera des malheurs … J’ai peur qu’il n’ait raison. Je suis sûr qu’il a raison. Mais ce n’est pas le moment de parler des ces choses. En ce moment-ci je veux être heureux. Au fait je le suis. Je suis très heureux. Il n’y a rien qui me manque.
HÉRODIAS
Je suis bien contente que vous soyez de si belle humeur, ce soir. Ce n’est pas dans vos habitudes. Mais il est tard. Rentrons. Vous n’oubliez pas qu’au lever du soleil nous allons tous à la chasse. Aux ambassadeurs de César il faut faire tout honneur, n’est-ce pas ?
LE SECOND SOLDAT
Comme il a l’air sombre, le tétrarque.
LE PREMIER SOLDAT
Oui, il a l’air sombre.
HérodeHÉRODE
Salomé, Salomé, dansez pour moi. Je suis triste ce soir. Ainsi[,] dansez pour moi, Salomé. Je vous supplie. Si vous dansez pour moi, vous pourrez me demander tout ce que vous voudrez, et je vous le donnerai.Salomé, Salomé, dansez pour moi. Je vous supplie de danser pour moi. Ce soir je suis triste. Oui, je suis très triste ce soir. Quand je suis entré ici, j’ai glissé dans le sang, ce qui est d’un mauvais présage, et j’ai entendu, je suis sûr que j’ai entendu un battement d’ailes dans l’air, un battement d’ailes gigantesques. Je ne sais pas ce que cela veut dire … Je suis triste ce soir. Ainsi dansez pour moi. Dansez pour moi, Salomé, je vous supplie. Si vous dansez pour moi vous pourrez me demander tout ce que vous voudrez et je vous le donnerai. Oui, dansez pour moi, Salomé, et je vous donnerai tout ce que vous me demanderez, fût-ce la moitié de mon royaume.
SaloméSALOMÉ
(se levant)(se levant)
Vous me donnerez tout ce que je demanderai, tétrarque ?Vous me donnerez tout ce que je demanderai, tétrarque ?
HérodiasHÉRODIAS
Ne dansez pas, ma fille !Ne dansez pas, ma fille.
HérodeHÉRODE
Tout[,] tout ce que vous voudrez je vous donnerai [sic], fût-ce la moitié de mon royaume.Tout, fût-ce la moitié de mon royaume.
SaloméSALOMÉ
Vous le jurez, tétrarque ?Vous le jurez, tétrarque ?
HérodeHÉRODE
Je le jure, Salomé.Je le jure, Salomé.
HÉRODIAS
Ma fille, ne dansez pas.
SaloméSALOMÉ
Sur quoi jurez-vous, tétrarque ?Sur quoi jurez-vous, tétrarque ?
HérodeHÉRODE
Sur ma vie, sur ma couronne, sur mes dieux. Oh ! Salomé, Salomé, dansez pour moi.Sur ma vie, sur ma couronne, sur mes dieux. Tout ce que vous voudrez je vous le donnerai, fût-ce la moitié de mon royaume, si vous dansez pour moi. Oh ! Salomé, Salomé, dansez pour moi.
Hérodias
Ne dansez pas, ma fille !
SaloméSALOMÉ
Vous avez juré, tétrarque.Vous avez juré, tétrarque.
HérodeHÉRODE
J’ai juré, Salomé.J’ai juré, Salomé.
SALOMÉ
Tout ce que je vous demanderai, fût-ce la moitié de votre royaume ?
HérodiasHÉRODIAS
Ne dansez pas, ma fille.Ne dansez pas, ma fille.
HérodeHÉRODE
Fût-ce la moitié de mon royaume. Comme reine, comme reine[,] tu serais très belle. (frémissant) Ah ! Il fait froid ici … il y a un vent très froid, et j’entends … pourquoi est-ce que j’entends dans l’air ce battement d’ailes ? Oh ! On dirait qu’il y a un oiseau, un grand oiseau noir qui plane sur la terrasse. Pourquoi est-ce que je ne peux pas le voir, cet oiseau ? Le battement de ses ailes est terrible. C’est un vent froid … Mais non, il ne fait pas froid du tout. Il fait très chaud. Versez-moi de l’eau sur les mains. Donnez-moi de la neige à manger. Dégrafez mon manteau. Vite, vite ! Non. Laissez-le. C’est ma couronne qui me fait mal. Ces fleurs sont faites de feu.Fût-ce la moitié de mon royaume. Comme reine, tu serais très belle, Salomé, s’il te plaisait de demander la moitié de mon royaume. N’est-ce pas qu’elle serait très belle comme reine ? … Ah ! il fait froid ici ! il y a un vent très froid, et j’entends … pourquoi est-ce que j’entends dans l’air ce battement d’ailes ? Oh ! on dirait qu’il y a un oiseau, un grand oiseau noir, qui plane sur la terrasse. Pourquoi est-ce que je ne peux pas le voir, cet oiseau ? Le battement de ses ailes est terrible. Le vent qui vient de ses ailes est terrible. C’est un vent froid … Mais non, il ne fait pas froid du tout. Au contraire, il fait très chaud. Il fait trop chaud. J’étouffe. Versez-moi de l’eau sur les mains. Donnez-moi de la neige à manger. Dégrafez mon manteau. Vite, vite, dégrafez mon manteau  Non. Laissez-le. C’est ma couronne qui me fait mal, ma couronne de roses. On dirait, que ces fleurs sont faites de feu. Elles ont brûlé mon front.
(Il arrache de sa tête la couronne et la jette sur la table.)(Il arrache de sa tête la couronne, et la jette sur la table.)
Ah ! enfin, je respire. Maintenant je suis heureux. (épuisé) N’est-ce pas que vous allez danser pour moi, Salomé ?Ah ! enfin, je respire. Comme ils sont rouges ces pétales ! On dirait des taches de sang sur la nappe. Cela ne fait rien. Il ne faut pas trouver des symboles dans chaque chose qu’on voit. Cela rend la vie impossible. Il serait mieux de dire que les taches de sang sont aussi belles que les pétales de roses. Il serait beaucoup mieux de dire cela … Mais ne parlons pas de cela. Maintenant je suis heureux. Je suis très heureux. J’ai le droit d’être heureux n’est-ce pas ? Votre fille va danser pour moi. N’est-ce pas que vous allez danser pour moi, Salomé ? Vous avez promis de danser pour moi.
HérodiasHÉRODIAS
Je ne veux pas qu’elle danse.Je ne veux pas qu’elle danse.
SaloméSALOMÉ
Je danserai pour vous, tétrarque.Je danserai pour vous, tétrarque.
HÉRODE
Vous entendez ce que dit votre fille. Elle va danser pour moi. Vous avez bien raison, Salomé, de danser pour moi. Et, après que vous aurez dansé n’oubliez pas de me demander tout ce que vous voudrez. Tout ce que vous voudrez je vous le donnerai, fût-ce la moitié de mon royaume. J’ai juré, n’est-ce pas ?
SALOMÉ
Vous avez juré, tétrarque.
HÉRODE
Et je n’ai jamais manqué à ma parole. Je ne suis pas de ceux qui manquent à leur parole. Je ne sais pas mentir. Je suis l’esclave de ma parole, et ma parole c’est la parole d’un roi. Le roi de Cappadoce ment toujours, mais ce n’est pas un vrai roi. C’est un lâche. Aussi il me doit de l’argent qu’il ne veut pas payer. Il a même insulté mes ambassadeurs. Il a dit des choses très blessantes. Mais César le crucifiera quand il viendra à Rome. Je suis sûr que César le crucifiera. Sinon il mourra mangé des vers. Le prophète l’a prédit. Eh bien ! Salomé qu’attendez-vous ?
SALOMÉ
J’attends que mes esclaves m’apportent des parfums et les sept voiles et m’ôtent mes sandales.
[Les esclaves apportent des parfums et les sept voiles et ôtent les sandales de Salomé.](Les esclaves apportent des parfums et les sept voiles et ôtent les sandales de Salomé.)
HÉRODE
Ah ! vous allez danser pieds nus ! C’est bien ! C’est bien ! Vos petits pieds seront comme des colombes blanches. Ils ressembleront à des petites fleurs blanches qui dansent sur un arbre … Ah ! non. Elle va danser dans le sang ! Il y a du sang par terre. Je ne veux pas qu’elle danse dans le sang. Ce serait d’un très mauvais présage.
HÉRODIAS
Qu’est-ce que la cela vous fait qu’elle danse dans le sang ? Vous avez bien marché dedans, vous …
HÉRODE
Qu’est-ce que cela me fait ? Ah ! regardez la lune ! Elle est devenue rouge. Elle est devenue rouge comme du sang. Ah ! le prophète l’a bien prédit. Il a prédit que la lune deviendrait rouge comme du sang. N’est-ce pas qu’il a prédit cela ? Vous l’avez tous entendu. La lune est devenue rouge comme du sang. Ne le voyez-vous pas ?
HÉRODIAS
Je le vois bien, et les étoiles tombent comme des figues vertes, n’est-ce pas ? Et le soleil devient noir comme un sac de poil, et les rois de la terre ont peur. Cela au moins on le voit. Pour une fois dans sa vie le prophète a eu raison. Les rois de la terre ont peur … Enfin, rentrons. Vous êtes malade. On va dire à Rome que vous êtes fou. Rentrons, je vous dis.
Voix d’IokanaanLA VOIX D’IOKANAAN
Qui est celui qui vient d’Édom, qui est celui qui vient de Bosra avec sa robe teinte de pourpre qui éclate dans la beauté de ses vêtements et qui marche avec une force toute puissante ? Pourquoi vos vêtements sont-ils teints d’écarlate ?Qui est celui qui vient d’Edom, qui vient de Bosra avec sa robe teinte de pourpre ; qui éclate dans la beauté de ses vêtements, et qui marche avec une force toute puissante ? Pourquoi vos vêtements sont-ils teints d’écarlate ?
HérodiasHÉRODIAS
Rentrons. La voix de cet homme m’exaspère. Je ne veux pas que ma fille danse pendant qu’il crie comme cela. Je ne veux pas qu’elle danse pendant que vous la regardez comme cela. Enfin, je ne veux pas qu’elle danse.Rentrons. La voix de cet homme m’exaspère. Je ne veux pas que ma fille danse pendant qu’il crie comme cela. Je ne veux pas qu’elle danse pendant que vous la regardez comme cela. Enfin, je ne veux pas qu’elle danse.
HérodeHÉRODE
Ne te lève pas, mon épouse, ma reine, c’est inutile. Je ne rentrerai pas avant qu’elle ait dansé. Dansez, Salomé, dansez pour moi.Ne te lève pas, mon épouse, ma reine, c’est inutile. Je ne rentrerai pas avant qu’elle ait dansé. Dansez, Salomé, dansez pour moi.
HérodiasHÉRODIAS
Ne dansez pas, ma fille !Ne dansez pas ma fille.
SaloméSALOMÉ
Je suis prête, tétrarque.Je suis prête, tétrarque.
La Danse de Salomé
(Les musiciens commencent à jouer une danse effrénée.)
(Salomé encore immobile)
(Salomé se redresse et fait un signe aux musiciens qui par une transition rapide changent le rythme impétueux en une mélodie doucement berçante.)
(Salomé exécute »la danse des sept voiles«.)(Salomé danse la danse des sept voiles.)
(Salomé semble affaiblir un moment, puis recommence avec une fougue nouvelle.)
(Salomé reste un moment comme en extase au bord de la citerne dans laquelle Iokanaan est emprisonné – puis elle se précipite en avant aux pieds d’Hérode.)
HérodeHÉRODE
Ah ! Ah ! C’est magnifique, c’est magnifique ! (à Hérodias) Vous voyez qu’elle a dansé pour moi, votre fille. Approchez, Salomé ! Approchez afin que je puisse vous donner votre salaire. Toi, je te payerai bien. Je te donnerai tout ce que tu voudras. Que veux-tu, dis ?Ah ! c’est magnifique, c’est magnifique ! Vous voyez qu’elle a dansé pour moi, votre fille. Approchez, Salomé ! Approchez afin que je puisse vous donner votre salaire. Ah ! je paie bien les danseuses, moi. Toi, je te paierai bien. Je te donnerai tout ce que tu voudras. Que veux-tu, dis ?
SaloméSALOMÉ
(doucement)(s’agenouillant)
Je veux qu’on m’apporte présentement dans un bassin d’argent …Je veux qu’on m’apporte présentement dans un bassin d’argent …
HérodeHÉRODE
(riant)(riant)
Dans un bassin d’argent ? mais oui, dans un bassin d’argent, certainement. Elle est charmante, n’est-ce pas ? Qu’est-ce que vous voulez qu’on vous apporte dans un bassin d’argent, ma chère et belle Salomé, vous qui êtes la plus belle de toutes les filles de Judée ? Qu’est-ce que vous voulez qu’on vous apporte dans un bassin d’argent ? Dites-moi. Quoi que cela puisse être on vous le donnera. Mes trésors vous appartiennent. Qu’est-ce que c’est, Salomé ?Dans un bassin d’argent ? mais oui, dans un bassin d’argent, certainement. Elle est charmante, n’est-ce pas ? Qu’est-ce que vous voulez qu’on vous apporte dans un bassin d’argent, ma chère et belle Salomé, vous qui êtes la plus belle de toutes les filles de Judée ? Qu’est-ce que vous voulez qu’on vous apporte dans un bassin d’argent ? Dites-moi. Quoi que cela puisse être on vous le donnera. Mes trésors vous appartiennent. Qu’est-ce que c’est, Salomé ?
SaloméSALOMÉ
(se levant)(se levant)
(souriant)
La tête d’Iokanaan.La tête d’Iokanaan.
HÉRODIAS
Ah ! c’est bien dit, ma fille.
HérodeHÉRODE
Non, non.Non, non.
HérodiasHÉRODIAS
Ah ! C’est bien dit, ma fille. C’est bien dit. C’est bien dit, ma fille.
HérodeHÉRODE
Non, non, Salomé ! Vous ne me demandez pas cela. N’écoutez pas votre mère. Elle vous donne toujours de mauvais conseils. Il ne faut pas l’écouter.Non, non, Salomé ! Vous ne me demandez pas cela. N’écoutez pas votre mère. Elle vous donne toujours de mauvais conseils. Il ne faut pas l’écouter.
SaloméSALOMÉ
Je n’écoute pas ma mère. C’est pour mon propre plaisir que je demande la tête d’Iokanaan dans un bassin d’argent. Vous avez juré, Hérode. N’oubliez pas que vous avez juré.Je n’écoute pas ma mère. C’est pour mon propre plaisir que je demande la tête d’Iokanaan dans un bassin d’argent. Vous avez juré, Hérode. N’oubliez pas que vous avez juré.
HérodeHÉRODE
Je le sais. Je le sais. Je le sais bien. J’ai juré par mes dieux. Mais je vous supplie, Salomé, de me demander autre chose. Demandez-moi la moitié de mon royaume et je vous la donnerai. Mais ne me demandez pas ce que vous m’avez demandé.Je le sais. J’ai juré par mes dieux. Je le sais bien. Mais je vous supplie, Salomé, de me demander autre chose. Demandez-moi la moitié de mon royaume, et je vous la donnerai. Mais ne me demandez pas ce que vous m’avez demandé.
SaloméSALOMÉ
Je vous demande la tête d’Iokanaan.Je vous demande la tête d’Iokanaan.
HérodeHÉRODE
Non, non, je ne veux pas.Non, non, je ne veux pas.
SaloméSALOMÉ
Si ! vous avez juré, Hérode.Vous avez juré, Hérode.
HérodiasHÉRODIAS
Oui, vous avez juré. Tout le monde vous a entendu.Oui, vous avez juré. Tout le monde vous a entendu. Vous avez juré devant tout le monde.
HérodeHÉRODE
Taisez-vous. Ce n’est pas à vous que je parle.Taisez-vous. Ce n’est pas à vous que je parle.
HérodiasHÉRODIAS
Ma fille a bien raison de demander la tête de cet homme. Il a vomi des insultes contre moi. On voit qu’elle aime beaucoup sa mère. Ne cédez pas, ma fille, ne cédez pas. Il a juré, il a juré.Ma fille a bien raison de demander la tête de cet homme. Il a vomi des insultes contre moi. Il a dit choses monstrueuses contre moi. On voit qu’elle aime beaucoup sa mère. Ne cédez pas, ma fille. Il a juré, il a juré.
HérodeHÉRODE
Taisez-vous. Ne me parlez pas. Voyons, Salomé, il faut être raisonnable, n’est-ce pas ? Salomé, je vous ai toujours aimée … Peut-être je vous ai trop aimée. Ainsi ne me demandez pas cela. La tête d’un homme, une tête coupée, n’est-ce pas ? c’est une chose laide ? Écoutez-moi un instant. J’ai une émeraude. C’est la plus grande émeraude du monde. N’est-ce pas que vous la voulez ? Demandez-moi cela et je vous la donnerai, la plus grande émeraude.Taisez-vous. Ne me parlez pas … Voyons, Salomé, il faut être raisonnable, n’est-ce pas ? N’est-ce pas qu’il faut être raisonnable ? Je n’ai jamais été dur envers vous. Je vous ai toujours aimée … Peut-être je vous ai trop aimée. Ainsi, ne me demandez pas cela. C’est horrible, c’est épouvantable de me demander cela. Au fond, je ne crois pas que vous soyez sérieuse. La tête d’un homme decapité, c’est une chose laide, n’est-ce pas ? Ce n’est pas une chose qu’une vierge doive regarder. Quel plaisir cela pourrait-il vous donner ? Aucun. Non, non, vous ne voulez pas cela … Écoutez-moi un instant. J’ai une émeraude, une grande émeraude ronde que le favori de César m’a envoyée. Si vous regardiez à travers cette émeraude vous pourriez voir des choses qui se passent à une distance immense. César lui-même en porte une tout à fait pareille quand il va au cirque. Mais la mienne est plus grande. Je sais bien qu’elle est plus grande. C’est la plus grande émeraude du monde. N’est-ce pas que voulez cela [sic] ? Demandez-moi cela et je vous le [sic] donnerai.
SaloméSALOMÉ
Je demande la tête d’Iokanaan.Je demande la tête d’Iokanaan.
HérodeHÉRODE
Vous ne m’écoutez pas, vous ne m’écoutez pas. Enfin, laissez-moi parler, Salomé !Vous ne m’écoutez pas, vous ne m’écoutez pas. Enfin, laissez-moi parler[,] Salomé.
SaloméSALOMÉ
La tête d’Iokanaan.La tête d’Iokanaan.
HérodeHÉRODE
Vous me dites cela seulement pour me faire de la peine, parce que je vous ai regardée toute la soirée. Votre beauté m’a terriblement troublé. Oh ! Oh ! du vin ! j’ai soif. Salomé. Salomé, soyons amis. Enfin ! voyez … Ah ! Qu’est-ce que je voulais dire ? Qu’est-ce que c’était ? Ah ! Je me souviens ! … Salomé, vous connaissez mes paons blancs, mes beaux paons blancs qui se promènent dans le jardin entre les myrtes. Il n’y a pas dans le monde d’oiseaux si merveilleux. Il n’y a aucun roi du monde qui possède des oiseaux aussi merveilleux. Je n’en ai que cent. Je vous les donnerai tous.Non, non, vous ne voulez pas cela. Vous me dites cela seulement pour me faire de la peine, parce que je vous ai regardée pendant toute la soirée. Eh ! bien, oui. Je vous ai regardée pendant toute la soirée. Votre beauté m’a troublé. Votre beauté m’a terriblement troublé, est je vous ai trop regardée. Mais je ne le ferai plus. Il ne faut regarder ni les choses ni les personnes. Il ne faut regarder que dans les miroirs. Car les miroirs ne nous montrent que des masques … Oh ! oh ! du vin ! j’ai soif … Salomé. Salomé, soyons amis. Enfin, voyez … Qu’est-ce que je voulais dire ? Qu’est-ce que c’était ? Ah ! je m’en souviens ! … Salomé ! Non, venez plus près de moi. J’ai peur que vous ne m’entendiez pas … Salomé, vous connaissez mes paons blancs, mes beaux paons blancs, qui se promènent dans le jardin entre les myrtes et les grands cyprès. Leurs becs sont dorés, et les grains qu’ils mangent sont dorés aussi, et leurs pieds sont teints de pourpre. La pluie vient quand ils crient, et quand ils se pavanent la lune se montre au ciel. Ils vont deux à deux entre les cyprès et les myrtes noirs et chacun a son esclave pour le soigner. Quelquefois ils volent à travers les arbres, et quelquefois ils couchent sur le gazon et autour de l’étang. Il n’y a pas dans le monde d’oiseaux si merveilleux. Il n’y a aucun roi du monde qui possède des oiseaux aussi merveilleux. Je suis sûr que même César ne possède pas d’oiseaux aussi beaux. Eh bien ! je vous donnerai cinquante de mes paons. Ils vous suivront partout, et au milieu d’eux vous serez comme la lune dans und grand nuage blanc … Je vous les donnerai tous. Je n’en ai que cent, et il n’y a aucun roi du monde qui possède des paons comme les miens, mais je vous les donnerai tous. Seulement, il faut me délier de ma parole et ne pas me demander ce que vous m’avez demandé. (Il vide la coupe de vin.)
SaloméSALOMÉ
Donnez-moi la tête d’Iokanaan !Donnez-moi la tête d’Iokanaan.
HérodiasHÉRODIAS
C’est bien dit, ma fille ! (à Hérode) Vous, vous êtes ridicule avec vos paons.C’est bien dit, ma fille ! Vous, vous êtes ridicule avec vos paons.
HérodeHÉRODE
Taisez-vous ! Vous criez toujours comme une bête de proie. Votre voix m’ennuie. Taisez-vous, je vous dis … Salomé, pensez à ce que vous faites. Cet homme vient peut-être de Dieu. Je suis sûr : c’est un saint homme. Le doigt de Dieu l’a touché. Eh bien ! Salomé, vous ne voulez pas qu’un malheur m’arrive ? Enfin, écoutez-moi !Taisez-vous. Vous criez toujours. Vous criez comme une bête de proie. Il ne faut pas crier comme cela. Votre voix m’ennuie. Taisez-vous, je vous dis … Salomé, pensez à ce que vous faites. Cet homme vient peut-être de Dieu. Je suis sûr qu’il vient de Dieu. C’est un saint homme. Le doigt de Dieu l’a touché. Dieu a mis dans sa bouche des mots terribles. Dans le palais, comme dans le désert, Dieu est toujours avec lui … Au moins, c’est possible. On ne sait pas, mais il est possible que Dieu soit pour lui et avec lui. Aussi peut-être que s’il mourait, il m’arriverait un malheur. Enfin, il a dit que le jour où il mourrait il arriverait un malheur à quelqu’un. Ce ne peut être qu’à moi. Souvenez-vous, j’ai glissé dans le sang quand je suis entré ici. Aussi j’ai entendu un battement d’ailes dans l’air, un battement d’ailes gigantesques. Ce sont de très mauvais présages. Et il y en avait d’autres. Je suis sûr qu’il y en avait d’autres, quoique je ne les aie pas vus. Eh bien ! Salomé, vous ne voulez pas qu’un malheur m’arrive ? Vous ne voulez pas cela. Enfin, écoutez-moi.
SaloméSALOMÉ
Donnez-moi la tête d’Iokanaan.Donnez-moi la tête d’Iokanaan.
HérodeHÉRODE
Ah ! Vous voyez, vous ne m’écoutez pas. Soyez calme. Moi, je suis très calme. Écoutez : (à voix basse, secrètement) J’ai des bijoux cachés ici que même votre mère n’a jamais vus, des bijoux tout à fait extraordinaires. J’ai un collier de perles à quatre rangs. J’ai des topazes jaunes comme les yeux des tigres, des topazes roses comme les yeux des pigeons, des topazes vertes comme les yeux des chats. J’ai des opales qui brûlent toujours avec une flamme qui est très froide. Je vous les donnerai tous, mais tous. (toujours plus excité) Moi, j’ai des chrysolithes et des béryls, j’ai des chrysoprases et des rubis. J’ai des sardonyx et des hyacinthes et des calcédoines. Je vous les donnerai tous, mais tous, et j’ajouterai d’autres choses. J’ai un cristal qu’il n’est pas permis aux femmes de voir. Dans un coffret de nacre j’ai trois turquoises merveilleuses. Quand on les porte sur le front on peut imaginer des choses qui n’existent pas. Ce sont des trésors de grande valeur. Enfin, que veux-tu, Salomé ? Je te donnerai tout ce que tu demanderas, sauf une chose. Je te donnerai tout ce que je possède, sauf une vie. Je te donnerai le manteau du grand-prêtre. Je te donnerai le voile du sanctuaire …Vous voyez, vous ne m’écoutez pas. Mais soyez calme. Moi, je suis très calme. Je suis tout à fait calme. Ecoutez. J’ai des bijoux cachés ici que même votre mère n’a jamais vus, des bijoux tout à fait extraordinaires. J’ai un collier de perles à quatre rangs. On dirait des lunes enchaînées de rayons d’argent. On dirait cinquante lunes captives dans un filet d’or. Une reine l’a porté sur l’ivoire de ses seins. Toi, quand tu le porteras, tu seras aussi belle qu’une reine. J’ai des améthystes de deux espèces. Une qui est noire comme le vin. L’autre qui est rouge comme du vin qu’on a coloré avec de l’eau. J’ai des topazes jaunes comme les yeux des tigres, et des topazes roses comme les yeux des pigeons, et des topazes vertes comme les yeux des chats. J’ai des opales qui brûlent toujours avec une flamme qui est très froide, des opales qui attristent les esprits et ont peur des ténèbres. J’ai des onyx semblables aux prunelles d’une morte. J’ai des sélénites qui changent quand la lune change et deviennent pâles quand elles voient le soleil. J’ai des saphirs grands comme des œufs et bleus comme des fleurs bleues. La mer erre dedans, et la lune ne vient jamais troubler le bleu de ses flots. J’ai des chrysolithes et des béryls, j’ai des chrysoprases et des rubis, j’ai des sardonyx et des hyacinthes, et des calcédoines et je vous les donnerai tous, mais tous, et j’ajouterai d’autres choses. Le roi des Indes vient justement de m’envoyer quatre éventails faits de plumes de perroquets, et le roi de Numidie une robe faite de plumes d’autruche. J’ai un cristal qu’il n’est pas permis aux femmes de voir et que même les jeunes hommes ne doivent regarder qu’après avoir été flagellés de verges. Dans un coffret de nacre j’ai trois turquoises merveilleuses. Quand on les porte sur le front on peut imaginer des choses qui n’existent pas, et quand on les porte dans la main on peut rendre les femmes stériles. Ce sont des trésors de grande valeur. Ce sont des trésors sans prix. Et ce n’est pas tout. Dans un coffret d’ébène j’ai deux coupes d’ambre qui ressemblent à des pommes d’or. Si un ennemi verse du poison dans ces coupes elles deviennent comme des pommes d’argent. Dans un coffret incrusté d’ambre j’ai des sandales incrustées de verre. J’ai des manteaux qui viennent du pays des Sères, et des bracelets garnis d’escarboucles et de jade qui viennent de la ville d’Euphrate … Enfin, que veux-tu, Salomé ? Dis-moi ce que tu désires et je te le donnerai. Je te donnerai tout ce que tu demanderas, sauf une chose. Je te donnerai tout ce que je possède, sauf une vie. Je te donnerai le manteau du grand prêtre. Je te donnerai le voile du sanctuaire.
Les JuifsLES JUIFS
Oh, oh, oh !Oh ! Oh !
SaloméSALOMÉ
(féroce)
Donnez-moi la tête d’Iokanaan.Donnez-moi la tête d’Iokanaan.
(Hérode s’affaissant sur son siège)
HérodeHÉRODE
(épuisé)(s’affaissant sur son siège)
Qu’on lui donne ce qu’elle demande ! C’est bien la fille de sa mère.Qu’on lui donne ce qu’elle demande ! C’est bien la fille de sa mère !
(Hérodias prend de la main du tétrarque la bague de la mort et la donne au premier soldat qui l’apporte immédiatement au bourreau.)(Le premier soldat s’approche. Hérodias prend de la main du tétrarque la bague de la mort et la donne au soldat qui l’apporte immédiatement au bourreau. Le bourreau a l’air effaré.)
Hérode
Qui a pris ma bague ?Qui a pris ma bague ? Il y avait une bague à ma main droite. Qui a bu mon vin ! Il y avait du vin dans ma coupe. Elle était pleine de vin. Quelqu’un l’a bu ? Oh ! je suis sûr qu’il va arriver un malheur à quelqu’un. (Le bourreau descend dans la citerne.) Ah ! pourquoi ai-je donné ma parole ? Les rois ne doivent jamais donner leur parole. S’ils ne la gardent pas, c’est terrible. S’ils la gardent, c’est terrible aussi …
(Le bourreau descend dans la citerne.)
Hérode
(presque parlé)
Il y avait une bague à ma main droite. Qui a bu mon vin ? Il y avait du vin dans ma coupe. Elle était pleine de vin ! Quelqu’un l’a bu ? Oh ! Je suis sûr qu’il va arriver un malheur à quelqu’un.
HérodiasHÉRODIAS
Je trouve que ma fille a bien fait.Je trouve que ma fille a bien fait.
HérodeHÉRODE
Je suis sûr qu’il va arriver un malheur.Je suis sûr qu’il va arriver un malheur.
SaloméSALOMÉ
(Elle se penche sur la citerne et écoute.)(Elle se penche sur la citerne et écoute)
Il n’y a pas de bruit. Je n’entends rien. Pourquoi ne crie-t-il pas, cet homme ? Ah ! Si quelqu’un cherchait à me tuer, je crierais, je me débattrais, je ne voudrais pas souffrir … Frappe, frappe, Naaman. Frappe, je te dis. Non, je n’entends rien. Il y a un silence affreux ! Ah ! quelque chose est tombée par terre. J’ai entendu quelque chose tomber. C’était l’épée du bourreau. Il a peur[,] cet esclave. Il a laissé tomber son épée. Il n’ose pas le tuer. C’est un lâche, cet esclave ! Il faut envoyer des soldats.Il n’y a pas de bruit. Je n’entends rien. Pourquoi ne crie-t-il pas, cet homme ? Ah ! si quelqu’un cherchait à me tuer, je crierais, je me débattrais, je ne voudrais pas souffrir … Frappe, frappe, Naaman. Frappe, je te dis … Non. Je n’entends rien. Il y a un silence affreux. Ah ! quelque chose est tombé [sic] par terre. J’ai entendu quelque chose tomber. C’était l’épée du bourreau. Il a peur, cet esclave ! Il a laissé tomber son épée. Il n’ose pas le tuer. C’est un lâche, cet esclave ! Il faut envoyer des soldats.
(Elle voit le page d’Hérodias et s’adresse à lui.)(Elle voit le page d’Hérodias et s’adresse à lui.)
Viens ici ! Tu as été l’ami de celui qui est mort, n’est-ce pas ? Eh bien, il n’y a pas eu assez de morts. Dites aux soldats qu’ils descendent et m’apportent ce que je demande. Ce que le tétrarque m’a promis, ce qui m’appartient.Viens ici. Tu as été l’ami de celui qui est mort, n’est-ce pas ! Eh bien, il n’y a pas eu assez de morts. Dites aux soldats qu’ils descendent et m’apportent ce que je demande, ce que le tétrarque m’a promis, ce qui m’appartient.
(Le page recule.) (Elle s’adresse aux soldats.)(Le page recule. Elle s’adresse aux soldats.)
Venez ici, soldats. Descendez dans cette citerne et apportez-moi la tête de cet homme.Venez ici, soldats. Descendez dans cette citerne, et apportez-moi la tête de cet homme.
(Les soldats reculent.)(Les soldats reculent.)
Tétrarque, tétrarque, commandez à vos soldats d’apporter la tête d’Iokanaan.Tétrarque, tétrarque, commandez à vos soldats de m’apporter la tête d’Iokanaan.
(Un grand bras noir, le bras du bourreau, sort de la citerne portant sur un bouclier d’argent la tête d’Iokanaan.)(Un grand bras noir, le bras du bourreau, sort de la citerne apportant sur un bouclier d’argent la tête d’Iokanaan. Salomé la saisit. Hérode se cache le visage avec son manteau. Hérodias sourit et s’évente. Les Nazaréens s’agenouillent et commencent à prier.)
(Salomé la saisit. Hérode se cache le visage avec son manteau. Hérodias sourit et s’évente. Les Nazaréens s’agenouillent et commencent à prier.)
Ah ! tu n’as pas voulu me laisser baiser ta bouche, Iokanaan. Eh bien ! je la baiserai maintenant. Je la mordrai avec mes dents. Je la mordrai avec mes dents comme on mord un fruit mûr. Oui, je baiserai ta bouche, Iokanaan. Je te l’ai dit, n’est-ce pas ? Je te l’ai dit. Ah ! Ah ! Je la baiserai maintenant. Mais pourquoi ne me regardes-tu pas, Iokanaan ? Tes yeux si terribles, si pleins de colère et de mépris, ils sont fermés maintenant. Pourquoi sont-ils fermés ? Ouvre tes yeux ! Soulève tes paupières, Iokanaan. Pourquoi ne me regardes-tu pas ? As-tu peur de moi, Iokanaan, que tu ne veux pas me regarder ? … Et ta langue[,] elle ne remue plus, Iokanaan, cette vipère rouge qui a vomi son venin sur moi. C’est étrange, n’est-ce pas ? Comment se fait-il que la vipère rouge ne remue plus ? Tu m’as traitée comme une courtisane … moi, Salomé, la fille de Hérodias, princesse de Judée. Eh bien ! Moi, je vis encore, mais toi, tu es mort et ta tête[,] ta tête m’appartient. Je puis en faire ce que je veux. Je puis la jeter aux chiens et aux oiseaux de l’air. Ce que laisseront les chiens[,] les oiseaux de l’air mangeront [sic] … Ah ! Ah ! Iokanaan, Iokanaan, tu étais beau. Ton corps était une colonne d’ivoire sur un socle d’argent. C’était un jardin plein de colombes et de lis, de lis d’argent. Rien au monde aussi [sic] blanc que ton corps. Rien au monde aussi [sic] noir que tes cheveux. Dans le monde tout entier il n’y avait rien aussi [sic] rouge que ta bouche … Ta voix était un encensoir qui répandait d’étranges parfums, et quand je te regardais j’entendais une musique étrange. Oh ! Pourquoi ne m’as-tu pas regardée, Iokanaan ? Tu as mis sur tes yeux le bandeau de celui qui veut voir son Dieu. Eh bien ! tu l’as vu, ton Dieu, Iokanaan. Mais moi, moi, moi […] tu ne m’as jamais vue. Si tu m’avais vue, tu m’aurais aimée. J’ai soif de ta beauté. J’ai faim de ton corps. Et ni le vin, ni les fruits ne peuvent apaiser mon désir. Que ferai-je maintenant, Iokanaan ? … Ni les fleuves, ni les grandes eaux ne pourraient éteindre ma passion. Ah ! Pourquoi ne m’as-tu pas regardée ? Si tu m’avais regardée, tu m’aurais aimée. Je sais bien que tu m’aurais aimée, et le mystère de l’amour est plus grand que le mystère de la mort …Ah ! tu n’as pas voulu me laisser baiser ta bouche, Iokanaan. Eh bien ! je la baiserai maintenant. Je la mordrai avec mes dents comme on mord un fruit mûr. Oui, je baiserai ta bouche, Iokanaan. Je te l’ai dit, n’est-ce pas ? je te l’ai dit ? Eh bien ! je la baiserai maintenant … Mais pourquoi ne me regardes-tu pas, Iokanaan ? Tes yeux qui étaient si terribles, qui étaient si pleins de colère et de mépris, ils sont fermés maintenant. Pourquoi sont-ils fermés ? Ouvre tes yeux ! Soulève tes paupières, Iokanaan. Pourquoi ne me regardes-tu pas ? As-tu peur de moi, Iokanaan, que tu ne veux pas me regarder ? … Et ta langue qui était comme un serpent rouge dardant des poisons, elle ne remue plus, elle ne dit rien maintenant, Iokanaan, cette vipère rouge qui a vomi son venin sur moi. C’est étrange, n’est-ce pas ? Comment se fait-il que la vipère rouge ne remue plus ? Tu n’as pas voulu de moi, Iokanaan. Tu m’as rejetée. Tu m’as dit des choses infâmes. Tu m’as traitée comme une courtisane, comme une prostituée, moi, Salomé, fille d’Hérodias, Princesse de Judée ! Eh bien, Iokanaan, moi je vis encore, mais toi tu es mort et ta tête m’appartient. Je puis en faire ce que je veux. Je puis la jeter aux chiens et aux oiseaux de l’air. Ce que laisseront les chiens, les oiseaux de l’air le mangeront … Ah ! Iokanaan, Iokanaan, tu as été le seul homme que j’aie aimé. Tous les autres hommes m’inspirent du dégoût. Mais, toi, tu étais beau. Ton corps était une colonne d’ivoire sur un socle d’argent. C’était un jardin plein de colombes et de lis d’argent. C’était une tour d’argent ornée de boucliers d’ivoire. Il n’y avait rien au monde d’aussi blanc que ton corps. Il n’y avait rien au monde d’aussi noir que tes cheveux. Dans le monde tout entier il n’y avait rien d’aussi rouge que ta bouche. Ta voix était un encensoir qui répandait d’étranges parfums, et quand je te regardais j’entendais une musique étrange ! Ah ! pourquoi ne m’as-tu pas regardée, Iokanaan ? Derrière tes mains et tes blasphèmes tu as caché ton visage. Tu as mis sur tes yeux le bandeau de celui qui veut voir son Dieu. Eh bien, tu l’as vu, ton Dieu, Iokanaan, mais moi, moi  tu ne m’as jamais vue. Si tu m’avais vue, tu m’aurais aimée. Moi, je t’ai vu, Iokanaan, et je t’ai aimé. Oh ! comme je t’ai aimé. Je t’aime encore, Iokanaan. Je n’aime que toi … J’ai soif de ta beauté. J’ai faim de ton corps. Et ni le vin, ni les fruits ne peuvent apaiser mon désir. Que ferai-je, Iokanaan, maintenant ? Ni les fleuves ni les grandes eaux, ne pourraient éteindre ma passion. J’étais une Princesse, tu m’as dédaignée. J’étais une vierge, tu m’as déflorée. J’etais chaste, tu as rempli mes veines de feu … Ah ! Ah ! pourquoi ne m’as-tu pas regardée, Iokanaan ? Si tu m’avais regardée, tu m’aurais aimée. Je sais bien que tu m’aurais aimée, et le mystère de l’amour est plus grand que le mystère de la mort. Il ne faut regarder que l’amour.
HérodeHÉRODE
(à voix basse à Hérodias)
Elle est monstrueuse, ta fille, elle est tout à fait monstrueuse.Elle est monstrueuse, ta fille, elle est tout à fait monstrueuse. Enfin, ce qu’elle a fait est un grand crime. Je suis sûr que c’est un crime contre un Dieu inconnu.
HérodiasHÉRODIAS
J’approuve ce que ma fille a fait, et je veux rester ici maintenant.J’approuve ce que ma fille a fait, et je veux rester ici maintenant.
HérodeHÉRODE
(se levant)
Ah ! l’épouse incestueuse qui parle ! Viens ! Je ne veux pas rester ici.Ah ! l’épouse incestueuse qui parle ! Viens ! Je ne veux pas rester ici.
(violent)
Viens[,] je te dis ! Je suis sûr qu’il va arriver un malheur. Cachons-nous dans notre palais. Hérodias, je commence à avoir peur.Viens, je te dis. Je suis sûr qu’il va arriver un malheur. Manassé, Issachar, Ozias, éteignez les flambeaux. Je ne veux pas regarder les choses. Je ne veux pas que les choses me regardent. Eteignez les flambeaux. Cachez la lune ! Cachez les étoiles ! Cachons-nous dans notre palais, Hérodias. Je commence à avoir peur.
(Un grand nuage noir passe sur la lune et la cache complètement.)(Les esclaves éteignent les flambeaux. Les étoiles disparaissent. Un grand nuage noir passe à travers la lune et la cache complètement. La scène devient tout à fait sombre. Le tétrarque commence à monter l’escalier.)
Hérode
Manassé, Issachar, Ozias, éteignez les flambeaux. Cachez la lune, cachez les étoiles !
(La scène devient tout à fait sombre.)
Il va arriver un malheur.
SaloméLA VOIX DE SALOMÉ
(épuisée)
Ah ! J’ai baisé ta bouche, Iokanaan. Ah ! j’ai baisé ta bouche. Il y avait une âcre saveur sur tes lèvres. Était-ce la saveur du sang ? Mais peut-être est-ce la saveur de l’amour. On dit que l’amour a une âcre saveur. Mais qu’importe ? Qu’importe ? J’ai baisé ta bouche, Iokanaan. J’ai baisé ta bouche, Iokanaan.Ah ! j’ai baisé ta bouche, Iokanaan, j’ai baisé ta bouche. Il y avait une âcre saveur sur tes lèvres. Était-ce la saveur du sang ? … Mais peut-être, est-ce la saveur de l’amour. On dit que l’amour a une âcre saveur … Mais, qu’importe ? Qu’importe ? J’ai baisé ta bouche, Iokanaan, j’ai baisé ta bouche.
(Un rayon de lune tombe sur Salomé et l’éclaire.)(Un rayon de lune tombe sur Salomé et l’éclaire.)
HérodeHÉRODE
(se retournant et voyant Salomé)(se retournant et voyant Salomé)
Tuez cette femme.Tuez cette femme !
(Les soldats s’élancent et écrasent sous leurs boucliers Salomé.)(Les soldats s’élancent et écrasent sous leurs boucliers Salomé, fille d’Hérodias, Princesse de Judée.)
Edierter GesangstextTextbuch
Première ScèneSCÈNE I.
Une grande terrasse dans le palais d’Hérode donnant sur la salle de festin. Des soldats sont accoudés sur le balcon. A droite, il y a un énorme escalier. A gauche, au fond, une ancienne citerne entourée d’un mur de bronze vert. Clair de lune.(Une grande terrasse dans le palais d’Hérode donnant sur la salle de festin. Des soldats sont accoudés sur le balcon. A droite, il y a un énorme escalier. A gauche, au fond, une ancienne citerne entourée d’un mur de bronze vert. Clair de lune.)
(Rideau)
NarrabothNarraboth.
Comme la princesse Salomé est belle ce soir !Comme la princesse Salomé est belle ce soir !
Le Page d’HérodiasLe Page d’Hérodias.
Regardez la lune. La lune a l’air très étrange. On dirait une femme qui sort d’un tombeau.Regardez la lune. La lune a l’air très étrange. On dirait une femme qui sort d’un tombeau.
NarrabothNarraboth.
Elle a l’air très étrange. Elle ressemble à une princesse qui a des pieds comme des petites colombes blanches … On dirait qu’elle danse.Elle a l’air très étrange. Elle ressemble à une princesse, qui a des pieds comme des petites colombes blanches … On dirait qu’elle danse.
PageLe Page d’Hérodias.
Elle est comme une femme morte. Elle va très lentement.Elle est comme une femme morte. Elle va très lentement.
(Bruit dans la salle de festin)(Bruit dans la salle de festin.)
1er SoldatPremier Soldat.
Quel vacarme ! Qui sont ces bêtes fauves qui hurlent ?Quel vacarme ! Qui sont ces bêtes fauves qui hurlent ?
2d SoldatSecond Soldat.
Les Juifs. Ils sont toujours ainsi. C’est sur leur religion qu’ils discutent.Les Juifs. Ils sont toujours ainsi. C’est sur leur religion qu’ils discutent.
1er SoldatPremier Soldat.
Je trouve que c’est ridicule de discuter sur de telles choses.Je trouve que c’est ridicule de discuter sur de telles choses.
NarrabothNarraboth.
Qu’elle est belle, la princesse Salomé[,] ce soir. Qu’elle est belle !Qu’elle est belle, la princesse Salomé, ce soir ! Qu’elle est belle !
PageLe Page d’Hérodias.
(inquièt)
Vous la regardez toujours. Vous la regardez trop ! Il ne faut pas regarder les gens de cette façon. Il peut arriver un malheur.Vous la regardez toujours. Vous la regardez trop ! Il ne faut pas regarder les gens de cette façon  Il peut arriver un malheur.
NarrabothNarraboth.
Elle est très belle ce soir.Elle est très belle ce soir.
1er SoldatPremier Soldat.
Le tétrarque a l’air très sombre.Le tétrarque a l’air très sombre.
2d SoldatSecond Soldat.
Oui, il a l’air sombre.Oui, il a l’air sombre.
1er SoldatPremier Soldat.
Qui regarde-t-il ?Qui regarde-t-il ?
2d SoldatSecond Soldat.
Je ne sais pas.Je ne sais pas.
NarrabothNarraboth.
Comme la princesse est pâle. Jamais je ne l’ai vue si pâle. Elle ressemble au reflet d’une rose blanche dans un miroir d’argent.Comme la princesse est pâle ! Jamais je ne l’ai vue si pâle. Elle ressemble au reflet d’une rose blanche dans un miroir d’argent.
PageLe Page d’Hérodias.
(très inquièt)
Il ne faut pas la regarder. Vous la regardez trop. Je vous prie de ne pas la regarder.Il ne faut pas la regarder. Vous la regardez trop ! Je vous prie de ne pas la regarder.
Voix d’IokanaanLa Voix d’Iokanaan
(dans la citerne)(dans la citerne).
Après moi viendra un autre encore plus puissant que moi. Je ne suis pas digne même de délier la courroie de ses sandales. Quand il viendra[,] la terre déserte se réjouira. Quand il viendra, les yeux des aveugles verront le jour. Quand il viendra[,] les oreilles des sourds seront ouvertes.Après moi viendra un autre encore plus puissant que moi. Je ne suis pas digne même de délier la courroie de ses sandales. Quand il viendra, la terre déserte se réjouira. Quand il viendra, les yeux des aveugles verront le jour. Quand il viendra, les oreilles des sourds seront ouvertes.
2d SoldatSecond Soldat.
Faites-le taire.Faites-le taire. Il dit toujours des choses absurdes.
1er SoldatPremier Soldat.
Mais non : c’est un saint homme.Mais non ; c’est un saint homme. Il est très doux. Chaque jour, je lui donne à manger ; il me remercie toujours.
2d Soldat
Il dit toujours des choses absurdes.
1er Soldat
Il est très doux. Chaque jour[,] je lui donne à manger ; il me remercie toujours.
CappadocienUn Cappadocien.
Qui est-ce ?Qui est-ce ?
1er SoldatPremier Soldat.
C’est un prophète.C’est un prophète.
CappadocienUn Cappadocien.
Quel est son nom ?Quel est son nom ?
1er SoldatPremier Soldat.
Iokanaan.Iokanaan.
CappadocienUn Cappadocien.
D’où vient-il ?D’où vient-il ?
1er SoldatPremier Soldat.
Du désert. Une grande foule de disciples le suivait.Du désert. Une grande foule de disciples le suivait.
CappadocienUn Cappadocien.
De quoi parle-t-il ?De quoi parle-t-il ?
1er SoldatPremier Soldat.
Il est impossible de le comprendre.Il est impossible de le comprendre.
CappadocienUn Cappadocien.
Peut-on le voir ?Peut-on le voir ?
1er SoldatPremier Soldat.
Non. Le tétrarque ne le permet pas.Non. Le tétrarque ne le permet pas.
NarrabothNarraboth.
Mais la princesse se lève. Elle quitte la table. Elle a l’air très ennuyée ! Elle vient par ici.Mais la princesse se lève ! Elle quitte la table ! Elle a l’air très ennuyée. Elle vient par ici.
PageLe Page d’Hérodias.
Ne la regardez pas.Ne la regardez pas.
NarrabothNarraboth.
Ah ! Elle vient par ici, vers nous !Ah ! Elle vient par ici, vers nous !
PageLe Page d’Hérodias.
Je vous prie, ne la regardez trop.Je vous prie, ne la regardez trop.
NarrabothNarraboth.
Elle est comme une colombe qui s’est éga-Elle est comme une colombe qui s’est égarée.
Deuxième ScèneSCÈNE II.
(Entre Salomé)(Entre Salomé.)
-rée !
SaloméSalomé.
Je ne resterai pas. Je ne peux pas rester. Pourquoi le tétrarque me regarde-t-il toujours avec ses yeux de taupe sous ses paupières tremblantes ? C’est étrange que le mari de ma mère me regarde comme cela. Comme l’air est frais ici. Enfin, ici on respire ! Là-dedans il y a des Juifs de Jérusalem qui se déchirent à cause de leurs ridicules cérémonies … Des Égyptiens subtils, silencieux … Des Romains avec leur lourdeur, leur brutalité, leurs gros mots. Ah ! que je déteste les Romains !Je ne resterai pas. Je ne peux pas rester. Pouquoi [sic] le tétrarque me regarde-t-il toujours avec ses yeux de taupe sous ses paupières tremblantes ? … C’est étrange que le mari de ma mère me regarde comme cela. Comme l’air est frais ici ! Enfin, ici on respire ! Là-dedans, il y a des Juifs de Jérusalem qui se déchirent à cause de leurs ridicules cérémonies, des Egyptiens, subtils, silencieux, des Romains avec leur lourdeur, leur brutalité, leurs gros mots. Ah ! que je déteste les Romains !
PageLe Page d’Hérodias.
(à Narraboth)
Oh ! Il va arriver un malheur. Pourquoi la regarder ?Oh ! Il va arriver un malheur. Pourquoi la regarder ?
SaloméSalomé.
Que c’est bon de voir la lune. On dirait une toute petite fleur d’argent. Froide et chaste. Elle a la beauté d’une vierge … Je suis sûre qu’elle est vierge.Que c’est bon de voir la lune ! On dirait une toute petite fleur d’argent, froide et chaste. Elle a la beauté d’une vierge … Je suis sûre, qu’elle est vierge.
Voix d’IokanaanLa Voix d’Iokanaan.
Il est venu, le Seigneur ! Il est venu[,] le fils de l’Homme.Il est venu, le Seigneur ! Il est venu le fils de l’Homme.
SaloméSalomé.
Qui a crié cela ?Qui a crié cela ?
2d SoldatSecond Soldat.
C’est le prophète, princesse.C’est le prophète, princesse.
SaloméSalomé.
Ah ! le prophète. Celui dont le tétrarque a peur ?Ah ! le prophète … celui dont le tétrarque a peur ?
2d SoldatSecond Soldat.
Nous ne savons rien de cela, princesse. C’est le prophète Iokanaan.Nous ne savons rien de cela, princesse. C’est le prophète Iokanaan.
NarrabothNarraboth.
(à Salomé)
Voulez-vous que je commande votre litière, princesse ? Il fait très beau dans le jardin.Voulez-vous que je commande votre litière, princesse ? Il fait très beau dans le jardin.
SaloméSalomé.
Il dit des choses monstrueuses à propos de ma mère, n’est-ce pas ?Il dit des choses monstrueuses, à propos de ma mère, n’est-ce pas ?
2d SoldatSecond Soldat.
Nous ne comprenons jamais ce qu’il dit, princesse.Nous ne comprenons jamais ce qu’il dit, princesse.
SaloméSalomé.
Oui, il dit des choses monstrueuses d’elle.Oui, il dit des choses monstrueuses d’elle.
Un EsclaveUn Esclave
(entrant)(entrant).
Princesse, le tétrarque vous prie de retourner au festin.Princesse, le tétrarque vous prie de retourner au festin.
SaloméSalomé.
(impétueux)
Je n’y retournerai pas.Je n’y retournerai pas.
(L’esclave sort.)(L’esclave sort.)
SaloméSalomé.
Est-ce un vieillard, le prophète ?Est-ce un vieillard, le prophète ?
NarrabothNarraboth
(insistant)(insistant).
Princesse, il vaudrait mieux retourner. Permettez-moi de vous reconduire.Princesse il vaudrait mieux retourner. Permettez-moi de vous reconduire.
SaloméSalomé.
Le prophète … est-ce un vieillard ?Le prophète … est-ce un vieillard ?
1er SoldatPremier Soldat.
Non, princesse, c’est un tout jeune homme.Non, princesse, c’est un tout jeune homme.
Voix d’IokanaanLa Voix d’Iokanaan.
Ne te réjouis point, terre de Palestine, parce que la verge de celui qui te frappait a été brisée. Car de la race du serpent il sortira un basilic, et ce qui en naîtra dévorera les oiseaux.Ne te réjouis point, terre de Palestine, parce que la verge de celui qui te frappait a été brisée. Car de la race du serpent il sortira un basilic, et ce qui en naîtra dévorera les oiseaux.
SaloméSalomé.
Quelle étrange voix. Je voudrais bien lui parler.Quelle étrange voix ! Je voudrais bien lui parler.
2d SoldatSecond Soldat.
Princesse, le tétrarque ne veut pas qu’on lui parle. Il a même défendu au grand-prêtre de lui parler.Princesse, le tétrarque ne veut pas qu’on lui parle. Il a même défendu au grand prêtre de lui parler.
SaloméSalomé.
Je veux lui parler.Je veux lui parler.
2d SoldatSecond Soldat.
C’est impossible, princesse.C’est impossible, princesse !
SaloméSalomé
(toujours plus violent)(toujours plus violente).
Je le veux. Faites sortir le prophète.Je le veux. Faites sortir le prophète.
2d SoldatSecond Soldat.
Nous n’osons pas, princesse.Nous n’osons pas, princesse.
SaloméSalomé
(s’approchant de la citerne et y regardant)(s’approchant de la citerne et y regardant).
Comme il fait noir là-dedans ! Cela doit être terrible d’être dans un trou si noir ! Cela ressemble à une tombe … (aux soldats, féroce) Vous ne m’avez pas entendue ? Faites-le sortir. Je veux le voir.Comme il fait noir, là-dedans ! Cela doit être terrible d’être dans un trou si noir ! Cela ressemble à une tombe … (aux soldats, féroce) Vous ne m’avez pas entendue ? Faites-le sortir. Je veux le voir.
1er SoldatPremier Soldat.
Je vous prie, princesse, de ne pas nous demander cela.Je vous prie, princesse, de ne pas nous demander cela.
SaloméSalomé
(regardant le jeune Syrien)(regardant le jeune Syrien).
Ah !Ah !
PageLe Page d’Hérodias.
Oh ! qu’est-ce qui va arriver ? Je suis sûr qu’il va arriver un malheur.Oh ! qu’est ce [sic] qui va arriver ? Je suis sûr qu’il va arriver un malheur.
SaloméSalomé
(s’approchant du jeune Syrien)(s’approchant du jeune Syrien).
(parlant doucement et avec une grande vivacité)
Vous ferez cela pour moi, pour moi, n’est-ce pas, Narraboth ? Pour vous[,] j’ai toujours été très douce. Vous ferez cela pour moi. Je veux seulement le regarder[,] cet étrange prophète. On a tant parlé de lui. Je pense qu’il a peur de lui, le tétrarque.Vous ferez cela pour moi, n’est-ce pas, Narraboth ? Pour vous, j’ai toujours été très douce. Vous ferez cela pour moi ? Je veux seulement le regarder, cet étrange prophète. On a tant parlé de lui. Je pense qu’il a peur de lui, le tétrarque.
NarrabothNarraboth.
Le tétrarque a formellement défendu qu’on lève le couvercle de ce puits.Le tétrarque a formellement défendu qu’on lève le couvercle de ce puits.
SaloméSalomé.
Vous ferez cela pour moi, Narraboth, (très vite) et demain, quand je passerai dans ma litière sous la porte des vendeurs d’idoles, (toujours à voix basse) je laisserai tomber pour vous une petite fleur, une petite fleur verte.Vous ferez cela pour moi, Narraboth ; et demain, quand je passerai dans ma litière sous la porte des vendeurs d’idoles, je laisserai tomber pour vous une petite fleur, une petite fleur verte.
NarrabothNarraboth.
Princesse, je ne peux pas, je ne peux pas.Princesse, je ne peux pas, je ne peux pas.
SaloméSalomé
(souriant)(souriant).
Vous ferez cela pour moi, Narraboth. (plus décidément) Vous savez bien que vous ferez cela pour moi. Et demain je vous regarderai à travers les voiles de mousseline, Narraboth, je vous regarderai, peut-être je vous sourirai, je vous sourirai. Narraboth, regardez-moi ! Ah ! vous savez bien que vous allez faire ce que je vous demande. Vous le savez bien. Moi, je le sais bien.Vous ferez cela pour moi, Narraboth (plus décidément) Vous savez bien, que vous ferez cela pour moi. Et demain je vous regarderai à travers les voiles de mousseline, Narraboth, je vous regarderai, peut-être je vous sourirai. Narraboth, regardez-moi ! Ah ! vous savez bien que vous allez faire ce que je vous demande. Vous le savez bien … Moi je le sais bien.
NarrabothNarraboth
(faisant un signe au second soldat)(faisant un signe au second soldat).
Faites sortir le prophète … La princesse Salomé veut le voir.Faites sortir le prophéte [sic] … La princesse Salomé veut le voir.
SaloméSalomé.
Ah !Ah !
(Le prophète sort de la citerne.)(Le prophète sort de la citerne.)
Troisième ScèneSCÈNE III.
(Salomé le regarde et recule.)(Salomé le regarde et recule.)
IokanaanIokanaan.
(fort)
Où est celui dont la coupe d’abominations est déjà pleine ? Où est celui qui en robe d’argent mourra un jour devant tout le peuple ? Dites-lui de venir afin qu’il puisse entendre la voix de celui qui a crié dans les déserts et dans les palais des rois.Où est celui, dont la coupe d’abominations est déjà pleine ? Où est celui qui en robe d’argent mourra un jour devant tout le peuple ? Dites-lui de venir afin qu’il puisse entendre la voix de celui qui a crié dans les déserts et dans les palais des rois.
SaloméSalomé.
De qui parle-t-il ?De qui parle-t-il ?
NarrabothNarraboth.
On ne sait jamais, princesse.On ne sait jamais, princesse.
IokanaanIokanaan.
Où est celle[,] ayant vu des hommes peints sur la muraille, qui s’est laissée emporter à la concupiscence de ses yeux et a envoyé des ambassadeurs en Chaldée ?Où est celle ayant vu des hommes peints sur la muraille, qui s’est laissée emporter à la concupiscence de ses yeux, et a envoyé des ambassadeurs en Chaldée ?
SaloméSalomé.
(sotto voce)
C’est de ma mère qu’il parle.C’est de ma mère qu’il parle.
NarrabothNarraboth.
Mais non, princesse.Mais non, princesse.
SaloméSalomé.
(languissante)
Si, c’est de ma mère.Si, c’est de ma mère.
IokanaanIokanaan.
Où est celle qui s’est abandonnée aux capitaines des Assyriens ? Où est celle qui s’est abandonnée aux jeunes hommes d’Égypte qui sont vêtus de linge et d’hyacinthe et portent des boucliers d’or et des casques d’argent et qui ont de grands corps. Dites-lui de se lever de la couche de son impudicité, de sa couche incestueuse, afin qu’elle puisse entendre les paroles de celui qui prépare la voie du Seigneur ; afin qu’elle se repente de ses péchés. Quoiqu’elle ne se repentira jamais[,] dites-lui de venir, car le Seigneur a son fléau dans la main.Où est celle qui s’est abandonnée aux capitaines des Assyriens ? Où est celle qui s’est abandonnée aux jeunes hommes d’Egypte qui sont vêtus de lin et d’hyacinthe, et portent des boucliers d’or et des casques d’argent, et qui ont de grands corps. Dites-lui de se lever de la couche de son impudicité, de sa couche incestueuse, afin qu’elle puisse entendre les paroles de celui qui prépare la voie du Seigneur ; afin qu’elle se repente de ses péchés. Quoiqu’elle ne se repentira jamais, dites-lui de venir, car le Seigneur a son fléau dans la main.
SaloméSalomé.
Mais il est terrible, il est terrible, terrible.Mais il est terrible, il est terrible.
NarrabothNarraboth.
Ne restez pas ici, princesse, je vous en prie.Ne restez pas ici, princesse, je vous en prie.
SaloméSalomé.
Ce sont les yeux surtout qui sont terribles. On dirait des cavernes noires où demeurent des dragons. On dirait des lacs noirs troublés par des lunes fantastiques … Pensez-vous qu’il parlera encore ?Ce sont les yeux surtout qui sont terribles. On dirait des cavernes noires où demeurent des dragons. On dirait des lacs noirs troublés par des lunes fantastiques … Pensez-vous qu’il parlera encore ?
NarrabothNarraboth
(toujours plus insistant)(toujours plus insistant).
Ne restez pas ici, princesse ! Je vous prie de ne pas rester ici.Ne restez pas ici, princesse ! Je vous prie de ne pas rester ici.
SaloméSalomé.
Comme il est maigre aussi ! Il ressemble à une mince image d’ivoire. Je suis sûre qu’il est chaste autant que la lune. Sa chair doit être très froide, froide comme l’ivoire … Je veux le regarder de près.Comme il est maigre aussi ! Il ressemble à une mince image d’ivoire. Je suis sûre qu’il est chaste, autant que la lune. Sa chair doit être très froide … froide comme l’ivoire … Je veux le regarder de près.
NarrabothNarraboth.
Non, non, princesse.Non, non, princesse !
SaloméSalomé.
Il faut que je le regarde de près.Il faut que je le regarde de près.
NarrabothNarraboth.
Princesse ! Princesse !Princesse ! Princesse !
IokanaanIokanaan.
Qui est cette femme qui me regarde ? Je ne veux pas qu’elle me regarde. Pourquoi me regarde-t-elle avec ses yeux d’or sous ses paupières dorées ? Je ne sais pas qui c’est. Je ne veux pas le savoir. Dites-lui de s’en aller. Ce n’est pas à elle que je veux parler.Qui est cette femme qui me regarde ? Je ne veux pas qu’elle me regarde. Pourquoi me regarde-t-elle avec ses yeux d’or sous ses paupières dorées ? Je ne sais pas qui c’est. Je ne veux pas le savoir. Dites-lui de s’en aller. Ce n’est pas à elle que je veux parler.
SaloméSalomé.
Je suis Salomé, fille d’Hérodias, princesse de Judée.Je suis Salomé, fille d’Hérodias, princesse de Judée.
IokanaanIokanaan.
Arrière ! Fille de Babylone ! N’approchez pas de l’élu du Seigneur. Ta mère a rempli la terre du vin de ses iniquités, et le cri de ses péchés est arrivé aux oreilles de Dieu.Arrière ! Fille de Babylone ! N’approchez pas de l’élu de Seigneur. Ta mère a rempli la terre du vin de ses iniquités, et le cri de ses péchés est arrivé aux oreilles de Dieu.
SaloméSalomé.
Parle encore, Iokanaan. Parle encore, Iokanaan. Ta voix m’enivre.Parle encore Iokanaan. Ta voix m’enivre.
NarrabothNarraboth.
Princesse ! Princesse ! Princesse !Princesse ! Princesse ! Princesse !
SaloméSalomé.
Mais parle encore, Iokanaan, et dis-moi ce qu’il faut que je fasse.Mais parle encore, Iokanaan, et dis-moi ce qu’il faut que je fasse.
IokanaanIokanaan.
Fille de Sodome, ne m’approchez pas ! Mais couvrez votre visage avec un voile, mettez des cendres sur votre tête, et allez dans le désert chercher le fils de l’Homme.Fille de Sodome, ne m’approchez pas ! Mais couvrez votre visage avec un voile, mettez des cendres sur votre tête, et allez dans le désert chercher le fils de l’Homme.
SaloméSalomé.
Qui est-ce, le fils de l’Homme ? Est-il aussi beau que toi, Iokanaan ?Qui est-ce, le fils de l’Homme ? Est-il aussi beau que toi, Iokanaan ?
IokanaanIokanaan.
Arrière ! Arrière ! J’entends dans le palais le battement des ailes de l’ange de la mort …Arrière ! Arrière ! J’entends dans le palais le battement des ailes de l’ange de la mort.
SaloméSalomé.
Iokanaan !Iokanaan !
NarrabothNarraboth.
Princesse, je vous supplie de rentrer !Princesse, je vous supplie de rentrer !
SaloméSalomé.
Iokanaan ! Je suis amoureuse de ton corps, Iokanaan ! Ton corps est blanc comme le lis, le lis d’un pré que le faucheur n’a jamais fauché. Ton corps est blanc comme les neiges sur les montagnes de Judée. Les roses du jardin de la reine d’Arabie ne sont pas aussi blanches que ton corps. Ni les roses de la reine d’Arabie[,] ni les pieds de l’aurore sur les feuilles, ni le sein de la lune quand elle couche sur le sein de la mer. Il n’y a rien au monde aussi [sic] blanc que ton corps. Laisse-moi toucher, toucher ton corps.Iokanaan ! Je suis amoureuse de ton corps, Iokanaan. Ton corps est blanc comme le lis d’un pré que le faucheur n’a jamais fauché. Ton corps est blanc comme les neiges sur les montagnes de Judée. Les roses du jardin de la reine d’Arabie ne sont pas aussi blanches que ton corps. Ni les roses de la reine d’Arabie, ni les pieds de l’aurore sur les feuilles, ni le sein de la lune quand elle couche sur le sein de la mer … Il n’y a rien au monde d’aussi blanc que ton corps … Laisse-moi toucher ton corps !
IokanaanIokanaan.
Arrière, fille de Babylone ! C’est par la femme que le mal est entré dans le monde. Ne me parlez pas. Je ne veux pas t’écouter. Je n’écoute que les paroles du Seigneur Dieu.Arrière, fille de Babylone ! C’est par la femme que le mal est entré dans le monde. Ne me parlez pas. Je ne veux pas t’écouter. Je n’écoute que les paroles du Seigneur Dieu.
SaloméSalomé.
Ton corps est hideux. Il est comme le corps d’un lépreux. Il est comme un mur de plâtre où les vipères sont passées, comme un mur de plâtre où les scorpions ont fait leur nid. Il est comme un sépulcre blanchi qui est plein de choses dégoûtantes. Il est horrible. Il est horrible ton corps ! … C’est de tes cheveux que je suis amoureuse, Iokanaan. Tes cheveux ressemblent à des grappes de raisins, des raisins noirs qui pendent des vignes d’Édom dans le pays des Édomites. Tes cheveux sont comme les cèdres, les grands cèdres du Liban ; les cèdres qui donnent de l’ombre aux lions et aux voleurs. Les longues nuits noires, les nuits où la lune ne se montre pas, où les étoiles ont peur[,] ne sont pas aussi noires. Le silence dans les forêts[.] Il n’est rien au monde aussi [sic] noir que tes cheveux. Laisse-moi toucher, toucher tes cheveux.Ton corps est hideux. Il est comme le corps d’un lépreux. Il est comme un mur de plâtre où les vipères sont passées, comme un mur de plâtre où les scorpions ont fait leur nid. Il est comme un sépulcre blanchi, qui est plein de choses dégoûtantes. Il est horrible, il est horrible ton corps ! … C’est de tes cheveux que je suis amoureuse, Iokanaan. Tes cheveux ressemblent à des grappes de raisins, des raisins noirs qui pendent des vignes d’Edom dans le pays des Edomites. Tes cheveux sont comme les cèdres, les grands cèdres du Liban ; les cèdres qui donnent de l’ombre aux lions et aux voleurs. Les longues nuits noires, les nuits où la lune ne se montre pas, où les étoiles ont peur, ne sont pas aussi noires, ni le silence dans les forêts. Il n’est rien au monde d’aussi noir que tes cheveux … Laisse-moi toucher tes cheveux.
IokanaanIokanaan.
Arrière, fille de Sodome ! Ne me touchez pas. Il ne faut pas profaner le temple du Seigneur Dieu.Arrière, fille de Sodome ! Ne me touchez pas. Il ne faut pas profaner le temple du Seigneur Dieu.
SaloméSalomé.
Tes cheveux sont horribles. Ils sont couverts de boue et de poussière. On dirait une couronne d’épines qu’on a placée sur ton front. On dirait un nœud de serpents noirs qui se tordent autour de ton cou. Je n’aime pas tes cheveux … C’est de ta bouche que je suis amoureuse, Iokanaan. C’est de ta bouche que je suis amoureuse, Iokanaan. Ta bouche est comme une bande d’écarlate sur une tour d’ivoire. Elle est comme une pomme de grenade coupée par un couteau d’ivoire. Les fleurs de grenade dans les jardins de Tyr[,] plus rouges que les roses[,] ne sont pas aussi rouges. Les cris rouges des trompettes qui annoncent l’arrivée des rois et font peur à l’ennemi[,] ne sont pas aussi rouges que ta bouche. Ta bouche est plus rouge que les pieds de ceux qui foulent le vin dans les pressoirs. Elle est plus rouge que les pieds des colombes qui demeurent dans les temples. Ta bouche est comme une branche de corail dans le crépuscule de la mer, le vermillon que les rois prennent dans les mines de Moab … (éperdue) Il n’y a rien aussi [sic] rouge que ta bouche. Ta bouche laisse-moi baiser.Tes cheveux sont horribles. Ils sont couverts de boue et de poussière. On dirait une couronne d’épines qu’on a placée sur ton front. On dirait un nœud de serpents noirs qui se tordent autour de ton cou. Je n’aime pas tes cheveux … C’est de ta bouche que je suis amoureuse, Iokanaan. Ta bouche est comme une bande d’écarlate sur une tour d’ivoire. Elle est comme une pomme de grenade coupée par un couteau d’ivoire. Les fleurs de grenade dans les jardins de Tyr, plus rouges que les roses, ne sont pas aussi rouges. Les cris rouges des trompettes qui annoncent l’arrivée des rois et font peur à l’ennemi, ne sont pas aussi rouges que ta bouche. Ta bouche est plus rouge que les pieds de ceux qui foulent le vin dans les pressoirs. Elle est plus rouge que les pieds des colombes qui demeurent dans les temples. Ta bouche est comme une branche de corail dans le crépuscule de la mer. Le vermillon que les rois prennent dans les mines de Moab … Il n’y a rien d’aussi rouge que ta bouche. Ta bouche laisse-moi la baiser.
IokanaanIokanaan.
(à voix basse, d’un sourd frisson)
Jamais, fille de Babylone ! Fille de Sodome ! Jamais !Jamais ! fille de Babylone ! Fille de Sodome Jamais !
SaloméSalomé.
Je baiserai ta bouche, Iokanaan. Je baiserai ta bouche …Je baiserai ta bouche, Iokanaan. Je baiserai ta bouche.
NarrabothNarraboth.
(désespéré)
Princesse, princesse, toi qui es comme un bouquet de myrrhe, toi qui es la colombe des colombes, ne regarde pas cet homme. Ne lui dis pas de telles choses. Je ne peux pas les souffrir.Princesse, princesse, toi qui es comme un bouquet de myrrhe, toi qui es la colombe des colombes, ne regarde pas cet homme. Ne lui dis pas de telles choses. Je ne peux pas les souffrir.
SaloméSalomé.
Je baiserai ta bouche, Iokanaan. Je baiserai ta bouche …Je baiserai ta bouche, Iokanaan. Je baiserai ta bouche …
Narraboth.
(Narraboth se tue et tombe entre Salomé et Iokanaan.)(Il se tue et tombe entre Salomé et Iokanaan.)
SaloméSalomé.
Je baiserai ta bouche, Iokanaan.Je baiserai ta bouche, Iokanaan.
IokanaanIokanaan.
N’avez-vous pas peur, fille d’Hérodias ?N’avez-vous pas peur, fille d’Hérodias ?
SaloméSalomé.
Laisse-moi baiser ta bouche, Iokanaan.Laisse-moi baiser ta bouche, Iokanaan.
IokanaanIokanaan.
Fille d’adultère, il n’y a qu’un homme qui puisse vous sauver. Allez le chercher[.] C’est celui dont je t’ai parlé. Il est dans un bateau sur la mer de Galilée[,] et il parle à ses disciples. Agenouillez-vous au bord de la mer et appelez-le, appelez-le par son nom. Quand il viendra vers vous, et il vient vers tous ceux qui l’appellent, prosternez-vous à ses pieds et demandez-lui la rémission de vos péchés.Fille d’adultère, il n’y a qu’un homme qui puisse te sauver. Allez le chercher. C’est celui dont je t’ai parlé, il est dans un bateau sur la mer de Galilée, et il parle à ses disciples. Agenouillez-vous au bord de la mer, et appelez-le par son nom. Quand il viendra vers vous, et il vient vers tous ceux qui l’appellent, prosternez-vous à ses pieds et demandez lui la rémission de vos péchés.
SaloméSalomé
(désespérée)(désesprérée [sic]).
Je baiserai ta bouche, Iokanaan.Je baiserai ta bouche, Iokanaan.
IokanaanIokanaan.
Soyez maudite, fille d’une mère incestueuse, soyez maudite.Soyez maudite, fille d’une mère incestueuse, soyez maudite.
SaloméSalomé.
Je baiserai ta bouche, Iokanaan.Je baiserai ta bouche, Iokanaan.
IokanaanIokanaan.
Je ne te regarderai pas. Tu es maudite, Salomé. Tu es maudite, tu es maudite. Tu es maudite.Je ne te regarderai pas. Tu es maudite, Salomé. Tu es maudite.
(Il descend dans la citerne.)(Il descend dans la citerne.)
Quatrième ScèneSCÈNE IV.
(Entrée d’Hérode, d’Hérodias et de toute la cour)(Entrée d’Hérode, d’Hérodias et de toute la cour.)
HérodeHérode.
Où est Salomé ? Où est la princesse ? Pourquoi n’est-elle pas retournée au festin comme je le lui avais commandé ? (apercevant Salomé accroupie derrière la citerne) Ah ! la voilà !Où est Salomé ? Où est la princesse ? Pourquoi n’est-elle pas retournée au festin, comme je le lui avais commandé ? Ah ! la voilà !
HérodiasHérodias.
Il ne faut pas la regarder. Vous la regardez toujours.Il ne faut pas la regarder. Vous la regardez toujours !
HérodeHérode.
La lune a l’air très étrange ce soir. N’est-ce pas, très étrange ? On dirait une femme hystérique qui va chercher des amants partout. N’est-ce pas qu’elle chancelle comme une femme ivre …La lune a l’air très étrange, ce soir. N’est-ce pas, très étrange ? On dirait une femme hystérique, qui va chercher des amants partout. N’est-ce pas qu’elle chancelle comme une femme ivre ?
HérodiasHérodias.
Non. La lune ressemble à la lune, c’est tout. Rentrons !Non. La lune ressemble à la lune, c’est tout. Rentrons.
HérodeHérode.
Je resterai. Manassé, mettez des tapis là. Allumez des flambeaux. Je boirai encore du vin avec mes hôtes. Ah ! j’ai glissé ! j’ai glissé dans le sang. C’est un mauvais présage. Pourquoi y a-t-il du sang ici ? Et ce cadavre ? Que fait ici ce cadavre ? Enfin, qui est-ce ? Je ne veux pas le regarder.Je resterai ! Manassé, mettez des tapis là. Allumez des flambeaux. Je boirai encore du vin avec mes hôtes. Ah ! j’ai glissé ! j’ai glissé dans le sang ! C’est un mauvais présage. Pourquoi y a-t-il du sang ici ? … Et ce cadavre ? Que fait ici ce cadavre ? Enfin qui est-ce ? Je ne veux pas le regarder.
1er SoldatPremier Soldat.
C’est notre capitaine, Seigneur.C’est notre capitaine, Seigneur.
HérodeHérode.
Je n’ai donné aucun ordre de le tuer.Je n’ai donné aucun ordre de le tuer.
1er SoldatPremier Soldat.
Il s’est tué lui-même, Seigneur.Il s’est tué lui-même, Seigneur.
HérodeHérode.
Cela me semble étrange. Le jeune Syrien[,] il était beau. Je me rappelle que je l’ai vu regardant Salomé d’une façon langoureuse … Emportez-le …Cela me semble étrange. Le jeune Syrien, il était beau. Je me rappelle que je l’ai vu regardant Salomé d’une façon langoureuse … Emportez-le …
(On emporte le cadavre.)(On emporte le cadavre.)
HérodeHérode.
Il fait froid ici. Il y a du vent ici. N’est-ce pas qu’il y a du vent ?Il fait froid ici. Il y a du vent ici. N’est-ce pas qu’il y a du vent ?
HérodiasHérodias
(sèchement)(sèchement).
Mais non. Il n’y a pas de vent.Mais non. Il n’y a pas de vent.
HérodeHérode.
Mais si, il y a du vent … Et j’entends dans l’air quelque chose comme un battement d’ailes, d’ailes gigantesques. Ne l’entendez-vous pas ?Mais si, il y a du vent … Et j’entends dans l’air quelque chose comme un battement d’ailes, d’ailes gigantesques. Ne l’entendez-vous pas ?
HérodiasHérodias.
Je n’entends rien.Je n’entends rien.
HérodeHérode.
Je ne l’entends plus moi-même. Mais je l’ai entendu. C’était le vent sans doute. C’est passé. Mais non, je l’entends encore. Ne l’entendez-vous pas ? C’est tout à fait comme un battement d’ailes …Je ne l’entends plus moi-même. Mais je l’ai entendu. C’était le vent sans doute. C’est passé. Mais non, je l’entends encore. Ne l’entendez-vous pas ? C’est tout à fait comme un battement d’ailes …
HérodiasHérodias.
Vous êtes malade. Rentrons.Vous êtes malade. Rentrons.
HérodeHérode.
Je ne suis pas malade. C’est votre fille qui a l’air très malade. Jamais je ne l’ai vue si pâle.Je ne suis pas malade. C’est votre fille qui a l’air très malade. Jamais je ne l’ai vue si pâle.
HérodiasHérodias.
Je vous ai dit de ne pas la regarder.Je vous ai dit de ne pas la regarder
HérodeHérode.
Versez du vin. (On apporte du vin.) Salomé, venez boire un peu de vin avec moi : un vin très exquis. C’est César lui-même qui me l’a envoyé. Trempez là-dedans vos petites lèvres, vos petites lèvres rouges, et ensuite je viderai la coupe.Versez du vin. (On apporte du vin.) Salomé, venez boire un peu de vin avec moi : un vin très exquis. C’est César lui-même qui me l’a envoyé. Trempez là-dedans vos petites lèvres, vos petites lèvres rouges et ensuite je viderai la coupe.
SaloméSalomé.
Je n’ai pas soif, tétrarque.Je n’ai pas soif, tétrarque.
HérodeHérode.
Vous entendez comme elle me répond, votre fille ?Vous entendez comme elle me répond, votre fille.
HérodiasHérodias.
Je trouve qu’elle a bien raison. Pourquoi la regardez-vous toujours ?Je trouve qu’elle a bien raison. Pourquoi la regardez-vous toujours ?
HérodeHérode.
Apportez des fruits. (On apporte des fruits.) Salomé, venez, venez manger des fruits avec moi. J’aime beaucoup voir dans un fruit la morsure, la morsure de tes petites dents. Mordez un tout petit morceau de ce fruit, un tout petit morceau[,] et ensuite je mangerai ce qui reste.Apportez des fruits. (On apporte des fruits.) Salomé, venez manger des fruits avec moi. J’aime beaucoup voir dans un fruit la morsure de tes petites dents. Mordez un tout petit morceau de ce fruit, un tout petit morceau, et ensuite je mangerai ce qui reste.
SaloméSalomé.
Je n’ai pas faim, tétrarque.Je n’ai pas faim, tétrarque.
HérodeHérode
(à Hérodias)(à Hérodias).
Voilà comme vous l’avez élevée[,] votre fille.Voilà comme vous l’avez élevée, votre fille.
HérodiasHérodias.
Ma fille et moi, nous descendons d’une race royale. Quant à toi, ton grand-père gardait des chameaux ! Aussi, c’était un voleur !Ma fille et moi, nous descendons d’une race royale. Quant à toi, ton grand père gardait des chameaux ! Aussi, c’était un voleur !
HérodeHérode.
Salomé, viens t’asseoir près de moi. Je te donnerai le trône de ta mère.Salomé, viens t’asseoir près de moi. Je te donnerai le trône de ta mère.
SaloméSalomé.
Je ne suis pas fatiguée, tétrarque.Je ne suis pas fatiguée, tétrarque.
HérodiasHérodias.
Vous voyez bien ce qu’elle pense de vous.Vous voyez bien ce qu’elle pense de vous.
HérodeHérode.
Apportez … Qu’est-ce que je veux ? Je ne sais pas. Ah ! Ah ! Je m’en souviens …Apportez … Qu’est-ce que je veux ? Je ne sais pas. Ah ! Ah ! je m’en souviens …
Voix d’IokanaanLa Voix d’Iokanaan.
Ce que j’ai prédit est arrivé. Voici le jour dont j’avais parlé.Ce que j’ai prédit est arrivé. Voici le jour dont j’avais parlé.
HérodiasHérodias.
Faites-le taire ! Cet homme vomit toujours des injures contre moi.Faites-le taire. Cet homme vomit toujours des injures contre moi.
HérodeHérode.
Il n’a rien dit contre vous. Aussi, c’est un très grand prophète.Il n’a rien dit contre vous. Aussi, c’est un très grand prophète.
HérodiasHérodias.
Je ne crois pas aux prophètes. Je sais bien que vous avez peur de lui.Je ne crois pas aux prophètes. Je sais bien que vous avez peur de lui.
HérodeHérode.
Moi, je n’ai peur de personne.Moi, je n’ai peur de personne.
HérodiasHérodias.
Si, vous avez peur de lui. Pourquoi ne pas le livrer aux juifs qui depuis six mois vous le demandent ?Si, vous avez peur de lui. Pourquoi ne pas le livrer aux Juifs qui depuis six mois vous le demandent ?
1er JuifPremier Juif.
En effet, Seigneur, il serait mieux de nous le livrer.En effet, Seigneur, il serait mieux de nous le livrer.
HérodeHérode.
Assez sur ce point. Je ne veux pas vous le livrer. C’est un saint homme. C’est un homme qui a vu Dieu.Assez sur ce point. Je ne veux pas vous le livrer. C’est un saint homme. C’est un homme qui a vu Dieu.
1er JuifPremier Juif.
C’est impossible. Personne n’a vu Dieu depuis le prophète Élie. Lui, c’est le dernier qui ait vu Dieu. En ce temps-ci[,] Dieu ne se montre pas. Il se cache. Et par conséquent il y a de grands malheurs dans le pays, de grands malheurs.Cela, c’est impossible. Personne n’a vu Dieu depuis le prophète Elie. Lui, c’est le dernier qui ait vu Dieu. En ce temps-ci, Dieu ne se montre pas. Il se cache. Et par conséquent il y a de grands malheurs dans le pays, de grands malheurs.
2d JuifSecond Juif.
Enfin, on ne sait pas si le prophète Élie a réellement vu Dieu. C’était plutôt l’ombre de Dieu qu’il a vue.Enfin, on ne sait pas si le prophète Élie a réellement vu Dieu. C’était plutôt l’ombre de Dieu qu’il a vue.
3e JuifTroisième Juif.
Dieu ne se cache, ne se cache jamais. Il se montre toujours et dans toute chose[.] Dieu est dans le mal comme dans le bien.Dieu ne se cache jamais. Il se montre toujours et dans toute chose. Dieu est dans le mal comme dans le bien.
4e JuifQuatrième Juif.
Il ne faut pas dire cela. C’est une idée très dangereuse d’Alexandrie. Et les Grecs sont des gentils.Il ne faut pas dire cela. C’est une idée très dangereuse d’Alexandrie. Et les Grecs sont des gentils.
5e JuifCinquième Juif.
On ne peut pas savoir comment Dieu agit, ses voies sont très mystérieuses. Le nécessaire c’est de se soumettre à tout. Dieu est très fort.On ne peut pas savoir comment Dieu agit, ses voies sont très mystérieuses. Le nécessaire c’est de se soumettre à tout. Dieu est très fort.
1er JuifPremier Juif.
C’est vrai cela. Dieu est terrible. Mais cet homme, cet homme n’a jamais vu Dieu. Personne n’a vu Dieu depuis le prophète Élie. C’est le dernier, c’est le dernier qui ait vu Dieu. En ce temps-ci Dieu ne se montre pas, ne se montre pas, ne se montre pas. Dieu se cache. Dieu se cache. Il y a de grands malheurs dans le pays. Il y a de grands malheurs dans le pays. Il y a de grands malheurs, grands malheurs dans le pays. C’est le dernier, c’est le dernier qui ait vu Dieu. C’est le dernier qui ait vu Dieu. Dieu ne se montre pas. Dieu ne se montre pas. Personne n’a vu Dieu depuis le prophète. C’est le dernier qui ait vu Dieu. Personne n’a vu Dieu depuis le prophète[.]C’est vrai cela. Dieu est terrible. Mais cet homme, cet homme n’a jamais vu Dieu. Personne n’a vu Dieu depuis le prophète Elie. C’est le dernier, qui ait vu Dieu. En ce temps ci, Dieu ne se montre pas. Dieu se cache. Il y a de grands malheurs dans le pays. C’est le dernier, qui ait vu Dieu.
2d JuifSecond Juif.
Enfin, on ne sait pas si le prophète Élie a réellement vu Dieu. C’était plutôt l’ombre de Dieu, c’était plutôt, c’était plutôt l’ombre de Dieu qu’il a vue. Enfin, on ne sait pas si le prophète Élie a réellement vu Dieu. Dieu est terrible. Il brise les faibles et les forts. Il brise en même temps les faibles et les forts. C’était plutôt l’ombre de Dieu …Enfin, on ne sait pas si le prophète Élie a réellement vu Dieu. C’était plutôt l’ombre de Dieu, qu’il a vue. Dieu est terrible. Il brise en même temps les faibles et les forts.
3e JuifTroisième Juif.
Dieu ne se cache, Dieu ne se cache jamais. Dieu ne se cache jamais. Il se montre toujours et dans toute chose. Dieu est dans le mal comme dans le bien. Dieu ne se cache jamais. Dieu ne se cache jamais, jamais. Dieu se montre toujours et dans toute chose. Dieu est dans le mal comme dans le bien.Dieu ne se cache jamais. Il se montre toujours et dans toute chose. Dieu est dans le mal comme dans le bien.
4e JuifQuatrième Juif.
(au troisième Juif)(au troisième Juif).
Il ne faut pas dire cela. C’est une idée très dangereuse d’Alexandrie. Les Grecs sont des gentils. Ils ne sont pas même circoncis. Les Grecs sont des gentils. Ils ne sont pas même circoncis. On ne peut pas savoir comment Dieu agit. Dieu est très fort. On ne peut pas savoir comment Dieu agit. Dieu est très fort, il brise les faibles et les forts. Dieu est fort.Il ne faut pas dire cela. C’est une idée très dangereuse d’Alexandrie. Les Grecs sont des gentils. On ne peut pas savoir comment Dieu agit. Dieu est très fort. Il brise les faibles et les forts. Dieu est fort.
5e JuifCinquième Juif.
On ne peut pas savoir comment Dieu agit. Ses voies sont très mystérieuses. Ses voies sont très mystérieuses. On ne peut pas savoir comment Dieu agit. Peut-être ce que nous appelons le mal est le bien. Et ce que nous appelons le bien est le mal. Il n’a aucun souci de personne.On ne peut pas savoir comment Dieu agit. Ses voies sont très mystérieuses. Peut être ce que nous appelons le mal est le bien. Et ce que nous appelons le bien est le mal. Il n’a aucun souci de personne.
HérodiasHérodias.
(à Hérode)(à Hérode).
Faites-les taire. Ils m’ennuient.Faites les taire. Ils m’ennuient.
HérodeHérode.
Mais j’ai entendu dire que Iokanaan lui-même est votre prophète Élie.Mais j’ai entendu dire qu’Iokanaan lui-même est votre prophète Élie.
1er JuifPremier Juif.
Cela ne se peut pas. Depuis le temps du prophète Élie il y a plus de trois cents ans.Cela ne se peut pas. Depuis le temps du prophète Élie, il y a plus de trois cents ans.
Un NazaréenPremier Nazaréen.
Moi, je suis sûr que c’est le prophète Élie.Moi, je suis sûr que c’est le prophète Élie.
Premier Juif.
Ca ne se peut pas. Depuis le temps du prophète Élie, il y a plus de trois cents ans.
Second, Troisième, Quatrième, et Cinquième Juif.
Mais non, ce n’est pas le prophète Élie.
2d Juif
Mais non, ce n’est pas le prophète Élie.
3e Juif
Mais non, ce n’est pas le prophète Élie.
1er Juif
Ça ne se peut pas. Depuis le temps du prophète Élie il y a plus de trois cents ans.
5e Juif
Mais non, ce n’est pas le prophète Élie.
4e Juif
Mais non, ce n’est pas le prophète Élie.
HérodiasHérodias.
Faites-les taire !Faites les taire.
Voix d’IokanaanLa Voix d’Iokanaan.
Le jour est venu, le jour du Seigneur, et j’entends sur les montagnes les pieds de celui qui sera le Sauveur du monde.Le jour est venu, le jour du Seigneur, et j’entends sur les montagnes les pieds de celui qui sera le Sauveur du monde.
HérodeHérode.
Qu’est-ce que cela veut dire ? Le Sauveur du monde ?Qu’est ce que cela veut dire ? Le Sauveur du monde ?
1er NazaréenPremier Nazaréen.
Le Messie est venu.Le Messie est venu.
1er JuifPremier Juif
(criant)(criant).
Le Messie n’est pas venu.Le Messie n’est pas venu.
1er NazaréenPremier Nazaréen.
Il est venu, et il fait des miracles partout. À l’occasion d’un mariage qui a eu lieu dans une ville de Galilée, il a changé de l’eau en vin. Il a guéri des aveugles. On l’a vu sur une montagne parlant avec des anges.Il est venu, et il fait des miracles partout. A l’occasion d’un mariage qui a eu lieu dans une ville de Galilée, il a changé de l’eau en vin. Il a guéri des aveugles. On l’a vu sur une montagne parlant avec des anges.
2d NazaréenSecond Nazaréen.
Aussi il a guéri deux lépreux seulement en les touchant.Aussi il a guéri deux lépreux, seulement en les touchant.
HérodiasHérodias.
Oh ! Oh ! Je ne crois pas aux miracles. J’en ai vu trop.Oh ! Oh ! Je ne crois pas aux miracles. J’en ai vu trop.
1er NazaréenPremier Nazaréen.
La fille de Jaïre était morte. Il l’a ressuscitée.La fille de Jaïre était morte. Il l’a ressuscitée.
HérodeHérode
(effrayé)(effrayé).
Ah ! Il ressuscite les morts ?Ah ! Il ressuscite les morts ?
1er et 2d NazaréenPremier et Second Nazaréen.
Oui, Seigneur. Il ressuscite les morts.Oui, Seigneur. Il ressuscite les morts.
HérodeHérode.
Je ne veux pas qu’il fasse cela. Ce serait terrible si les morts revenaient. Où est-il à présent[,] cet homme ?Je ne veux pas qu’il fasse cela. Ce serait terrible, si les morts revenaient. Où est-il à présent cet homme ?
1er NazaréenPremier Nazaréen.
Il est partout, Seigneur, mais il est très difficile de le trouver.Il est partout, Seigneur, mais est il très difficile de le trouver.
HérodeHérode.
Mais il faut le trouver.Mais il faut le trouver.
2d NazaréenSecond Nazaréen.
On dit qu’il est à Samarie à présent.On dit qu’il est à Samarie à présent.
1er NazaréenPremier Nazaréen.
Il a quitté Samarie il y a quelques jours. Moi, je crois qu’en ce moment il est dans les environs de Jérusalem.Il a quitté Samarie il y a quelques jours. Moi, je crois qu’en ce moment-ci il est dans les environs de Jérusalem.
HérodeHérode.
Enfin, je ne permets pas qu’il ressuscite les morts. Ce serait terrible si les morts revenaient.Enfin, je ne permets pas qu’il ressuscite les morts … Ce serait terrible, si les morts reviennent.
Voix d’IokanaanLa Voix d’Iokanaan.
Ah ! l’impudique ! la prostituée ! La fille de Babylone ! Voici ce que dit le Seigneur.Ah ! l’impudique ! – la prostituée ! La fille de Babylone ! Voici ce que dit le Seigneur. Faites venir contre elle une multitude d’hommes. Que le peuple prenne des pierres et la lapide …
HérodiasHérodias
(furieuse)(furieuse).
Mais cʼest infâme. Faites-le taire !Mais cʼest infâme. Faites-le taire ! C’est infâme.
Voix d’Iokanaan
Faites venir contre elle une multitude d’hommes. Que le peuple prenne des pierres et la lapide.
Herodias
C’est infâme, c’est infâme !
Voix d’IokanaanLa Voix d’Iokanaan.
Que les capitaines de guerre la percent de leurs épées, qu’ils l'écrasent sous leurs boucliers !Que les capitaines de guerre la percent de leurs épées, qu’ils l'écrasent sous leurs boucliers !
HérodiasHérodias.
Faites-le taire, faites-le taire !Faites le taire !
Voix d’IokanaanLa Voix d’Iokanaan.
C’est ainsi que j’abolirai les crimes de dessus la terre, et que toutes les femmes apprendront à ne pas imiter les abominations de celle-là.C’est ainsi que j’abolirai les crimes de dessus la terre, et que toutes les femmes apprendront à ne pas imiter les abominations de celle-là.
HérodiasHérodias.
Vous entendez ce qu’il dit contre moi ? Vous le laissez insulter votre épouse ?Vous entendez ce qu’il dit contre moi ? Vous le laissez insulter votre épouse ?
HérodeHérode.
Mais il n’a pas dit votre nom.Mais il n’a pas dit votre nom.
Voix d’IokanaanLa Voix d’Iokanaan
(solennel)(solennel).
En ce jour-là[,] le soleil deviendra noir comme un sac de poil, et la lune deviendra comme du sang, et les étoiles du ciel tomberont sur la terre comme les figues vertes tombent d’un figuier. En ce jour-là[,] les rois de la terre auront peur.En ce jour là, le soleil deviendra noir comme un sac de poil, et la lune deviendra comme du sang, et les étoiles du ciel tomberont sur la terre comme les figues vertes tombent d’un figuier. En ce jour là, les rois de la terre auront peur.
HérodiasHérodias.
Ah ! Ah ! Ce prophète parle comme un homme ivre … Mais je ne peux pas souffrir le son de sa voix[.] Je déteste sa voix. Ordonnez qu’il se taise.Ah ! ah ! Ce prophète parle comme un homme ivre … Mais je ne peux pas souffrir le son de sa voix. Je déteste sa voix. Ordonnez qu’il se taise.
HérodeHérode.
Salomé, dansez pour moi.Salomé, dansez pour moi.
HérodiasHérodias
(violent)(violent).
Je ne veux pas qu’elle danse.Je ne veux pas qu’elle danse.
SaloméSalomé
(tranquille)(tranquille).
Ja n’ai aucune envie de danser, tétrarque.Ja n’ai aucune envie de danser, tétrarque.
HérodeHérode.
Salomé, fille d’Hérodias, dansez pour moi !Salomé, fille d’Hérodias, dansez pour moi.
SaloméSalomé.
Je ne danserai pas, tétrarque.Je ne danserai pas, tétrarque.
HérodiasHérodias
(riant).
Voilà comme elle vous obéit.Voilà comme elle vous obéit !
Voix d’IokanaanLa Voix d’Iokanaan.
Il sera assis sur son trône, il sera vêtu de pourpre et d’écarlate. Et l’ange du Seigneur Dieu le frappera. Il sera mangé des vers.Il sera assis sur son trône. Il sera vêtu de pourpre et d’écarlate. Et l’ange du Seigneur Dieu le frappera. Il sera mangé des vers.
HérodeHérode.
Salomé, Salomé, dansez pour moi. Je suis triste ce soir. Ainsi[,] dansez pour moi, Salomé. Je vous supplie. Si vous dansez pour moi, vous pourrez me demander tout ce que vous voudrez, et je vous le donnerai.Salomé, Salomé, dansez pour moi. Je suis triste ce soir. Ainsi, dansez pour moi, Salomé. Je vous supplie. Si vous dansez pour moi, vous pourrez me demander tout ce que vous voudrez et je vous le donnerai.
SaloméSalomé
(se levant)(se levant).
Vous me donnerez tout ce que je demanderai, tétrarque ?Vous me donnerez tout ce que je demanderai, tétrarque ?
HérodiasHérodias.
Ne dansez pas, ma fille !Ne dansez pas, ma fille.
HérodeHérode.
Tout[,] tout ce que vous voudrez je vous donnerai [sic], fût-ce la moitié de mon royaume.Tout, tout ce que vous voudrez je vous le donnerai, fût-ce la moitié de mon royaume.
SaloméSalomé.
Vous le jurez, tétrarque ?Vous le jurez, tétrarque ?
HérodeHérode.
Je le jure, Salomé.Je le jure, Salomé.
SaloméSalomé.
Sur quoi jurez-vous, tétrarque ?Sur quoi jurez-vous, tétrarque ?
HérodeHérode.
Sur ma vie, sur ma couronne, sur mes dieux. Oh ! Salomé, Salomé, dansez pour moi.Sur ma vie, sur ma couronne, sur mes dieux. Oh Salomé, Salomé, dansez pour moi.
HérodiasHérodias.
Ne dansez pas, ma fille !Ne dansez pas, ma fille.
SaloméSalomé.
Vous avez juré, tétrarque.Vous avez juré, tétrarque.
HérodeHérode.
J’ai juré, Salomé.J’ai juré, Salomé.
HérodiasHérodias.
Ne dansez pas, ma fille.Ne dansez pas, ma fille.
HérodeHérode.
Fût-ce la moitié de mon royaume. Comme reine, comme reine[,] tu serais très belle. (frémissant) Ah ! Il fait froid ici … il y a un vent très froid, et j’entends … pourquoi est-ce que j’entends dans l’air ce battement d’ailes ? Oh ! On dirait qu’il y a un oiseau, un grand oiseau noir qui plane sur la terrasse. Pourquoi est-ce que je ne peux pas le voir, cet oiseau ? Le battement de ses ailes est terrible. C’est un vent froid … Mais non, il ne fait pas froid du tout. Il fait très chaud. Versez-moi de l’eau sur les mains. Donnez-moi de la neige à manger. Dégrafez mon manteau. Vite, vite ! Non. Laissez-le. C’est ma couronne qui me fait mal. Ces fleurs sont faites de feu.Fût-ce la moitié de mon royaume. Comme reine, comme reine, tu serais très belle. (frémissant.) Ah ! il fait froid ici ! il y a un vent, très froid, et j’entends … pourquoi est-ce que j’entends dans l’air ce battement d’ailes ? Oh ! On dirait qu’il y a un oiseau, un grand oiseau noir qui plane sur la terrasse. Pourquoi est-ce que je ne peux pas le voir, cet oiseau ? Le battement de ses ailes est terrible. C’est un vent froid … Mais non, il ne fait pas froid du tout. Il fait trop chaud. Versez-moi de l’eau sur les mains. Donnez-moi de la neige à manger. Dégrafez mon manteau. Vite ! vite ! Non. Laissez-le. C’est ma couronne qui me fait mal. Ces fleurs sont faites de feu. (Il arrache de sa tête la couronne et la jette sur la table.) Ah ! enfin, je respire. Maintenant je suis heureux. N’est-ce pas que vous allez danser pour moi, Salomé ?
(Il arrache de sa tête la couronne et la jette sur la table.)
Ah ! enfin, je respire. Maintenant je suis heureux. (épuisé) N’est-ce pas que vous allez danser pour moi, Salomé ?
HérodiasHérodias.
Je ne veux pas qu’elle danse.Je ne veux pas qu’elle danse.
SaloméSalomé.
Je danserai pour vous, tétrarque.Je danserai pour vous, tétrarque.
[Les esclaves apportent des parfums et les sept voiles et ôtent les sandales de Salomé.]
Voix d’IokanaanLa Voix d’Iokanaan.
Qui est celui qui vient d’Édom, qui est celui qui vient de Bosra avec sa robe teinte de pourpre qui éclate dans la beauté de ses vêtements et qui marche avec une force toute puissante ? Pourquoi vos vêtements sont-ils teints d’écarlate ?Qui est celui qui vient d’Edom, qui est celui qui vient de Bosra avec sa robe teinte de pourpre qui éclate dans la beauté de ces vêtements, et qui marche avec une force toute puissante ? Pourquoi vos vêtements sont ils teints d’écarlate ?
HérodiasHérodias.
Rentrons. La voix de cet homme m’exaspère. Je ne veux pas que ma fille danse pendant qu’il crie comme cela. Je ne veux pas qu’elle danse pendant que vous la regardez comme cela. Enfin, je ne veux pas qu’elle danse.Rentrons. La voix de cet homme m’exaspère. Je ne veux pas que ma fille danse pendant qu’il crie comme cela. Je ne veux pas qu’elle danse pendant que vous la regardez comme cela. Enfin, je ne veux pas qu’elle danse.
HérodeHérode.
Ne te lève pas, mon épouse, ma reine, c’est inutile. Je ne rentrerai pas avant qu’elle ait dansé. Dansez, Salomé, dansez pour moi.Ne te lève pas, mon épouse, ma reine, c’est inutile. Je ne rentrerai pas avant qu’elle ait dansé. Dansez, Salomé, dansez pour moi.
HérodiasHérodias.
Ne dansez pas, ma fille !Ne dansez pas, ma fille.
SaloméSalomé.
Je suis prête, tétrarque.Je suis prête, tétrarque.
La Danse de SaloméLa Danse de Salomé.
(Les musiciens commencent à jouer une danse effrénée.)Les musiciens commencent à jouer une danse effrénée. Salomé, d’abord immobile, se redresse et fait un signe aux musiciens, qui par une transition rapide changent le rythme impétueux en une mélodie doucement bercante. Salomé exécute »la danse des sept voiles
(Salomé encore immobile)
(Salomé se redresse et fait un signe aux musiciens qui par une transition rapide changent le rythme impétueux en une mélodie doucement berçante.)
(Salomé exécute »la danse des sept voiles«.)
(Salomé semble affaiblir un moment, puis recommence avec une fougue nouvelle.)Elle semble affaiblir un moment, puis recommence avec une fouge nouvelle. Elle reste un moment comme en extase au bord de la citerne dans laquelle Iokanaan est emprisonné, puis elle se précipite en avant aux pieds d’Hérode.
(Salomé reste un moment comme en extase au bord de la citerne dans laquelle Iokanaan est emprisonné puis elle se précipite en avant aux pieds d’Hérode.)
HérodeHérode.
Ah ! Ah ! C’est magnifique, c’est magnifique ! Hérodias) Vous voyez qu’elle a dansé pour moi, votre fille. Approchez, Salomé ! Approchez afin que je puisse vous donner votre salaire. Toi, je te payerai bien. Je te donnerai tout ce que tu voudras. Que veux-tu, dis ?Ah ! Ah ! C’est magnifique, c’est magnifique ! Herodias) Vous voyez qu’elle a dansé pour moi, votre fille. Approchez, Salomé ! Approchez, afin que je puisse vous donner votre salaire. Toi, je te paierai bien. Je te donnerai tout ce que tu voudras. Que veux-tu, dis ?
SaloméSalomé
(doucement)(doux).
Je veux qu’on m’apporte présentement dans un bassin d’argent …Présentement, dans un bassin d’argent …
HérodeHérode
(riant)(riant).
Dans un bassin d’argent ? mais oui, dans un bassin d’argent, certainement. Elle est charmante, n’est-ce pas ? Qu’est-ce que vous voulez qu’on vous apporte dans un bassin d’argent, ma chère et belle Salomé, vous qui êtes la plus belle de toutes les filles de Judée ? Qu’est-ce que vous voulez qu’on vous apporte dans un bassin d’argent ? Dites-moi. Quoi que cela puisse être on vous le donnera. Mes trésors vous appartiennent. Qu’est-ce que c’est, Salomé ?Dans un bassin d’argent ? mais oui, … dans un bassin d’argent, … certainement. Elle est charmante, n’est-ce pas ? Qu’est-ce que vous voulez qu’on vous apporte dans un bassin d’argent, ma chère et belle Salomé, vous qui êtes la plus belle de toutes les filles de Judée ? Qu’est-ce que vous voulez qu’on vous apporte dans un bassin d’argent ? Dites-moi. Quoi que cela puisse être, on vous le donnera. Mes trésors vous appartiennent. Qu’est-ce que c’est, Salomé ?
SaloméSalomé
(se levant)(se levant).
(souriant)
La tête d’Iokanaan.La tête d’Iokanaan.
HérodeHérode.
Non, non.Non, non.
HérodiasHérodias.
Ah ! C’est bien dit, ma fille. C’est bien dit.Ah ! c’est bien dit, ma fille. C’est bien dit.
HérodeHérode.
Non, non, Salomé ! Vous ne me demandez pas cela. N’écoutez pas votre mère. Elle vous donne toujours de mauvais conseils. Il ne faut pas l’écouter.Non, non, Salomé. Vous ne me demandez pas cela. N’écoutez pas votre mère. Elle vous donne toujours de mauvais conseils. Il ne faut pas l’écouter.
SaloméSalomé.
Je n’écoute pas ma mère. C’est pour mon propre plaisir que je demande la tête d’Iokanaan dans un bassin d’argent. Vous avez juré, Hérode. N’oubliez pas que vous avez juré.Je n’écoute pas ma mère. C’est pour mon propre plaisir que je demande la tête d’Iokanaan dans un bassin d’argent. Vous avez juré, Hérode. N’oubliez pas que vous avez juré.
HérodeHérode.
Je le sais. Je le sais. Je le sais bien. J’ai juré par mes dieux. Mais je vous supplie, Salomé, de me demander autre chose. Demandez-moi la moitié de mon royaume et je vous la donnerai. Mais ne me demandez pas ce que vous m’avez demandé.Je le sais. Je le sais bien. J’ai juré par mes dieux. Mais je vous supplie, Salomé, de me demander autre chose. Demandez-moi la moitié de mon royaume, et je vous la donnerai. Mais ne me demandez pas ce que vous m’avez demandé.
SaloméSalomé.
Je vous demande la tête d’Iokanaan.Je vous demande la tête d’Iokanaan.
HérodeHérode.
Non, non, je ne veux pas.Non, non, je ne veux pas.
SaloméSalomé.
Si ! vous avez juré, Hérode.Si ! Vous avez juré, Hérode.
HérodiasHérodias.
Oui, vous avez juré. Tout le monde vous a entendu.Oui, vous avez juré. Tout le monde vous a entendu.
HérodeHérode.
Taisez-vous. Ce n’est pas à vous que je parle.Taisez-vous. Ce n’est pas à vous que je parle.
HérodiasHérodias.
Ma fille a bien raison de demander la tête de cet homme. Il a vomi des insultes contre moi. On voit qu’elle aime beaucoup sa mère. Ne cédez pas, ma fille, ne cédez pas. Il a juré, il a juré.Ma fille a bien raison de demander la tête de cet homme. Il a vomi des insultes contre moi. On voit qu’elle aime beaucoup sa mère. Ne cédez pas, ma fille, ne cédez pas. Il a juré, il a juré.
HérodeHérode.
Taisez-vous. Ne me parlez pas. Voyons, Salomé, il faut être raisonnable, n’est-ce pas ? Salomé, je vous ai toujours aimée … Peut-être je vous ai trop aimée. Ainsi ne me demandez pas cela. La tête d’un homme, une tête coupée, n’est-ce pas ? c’est une chose laide ? Écoutez-moi un instant. J’ai une émeraude. C’est la plus grande émeraude du monde. N’est-ce pas que vous la voulez ? Demandez-moi cela et je vous la donnerai, la plus grande émeraude.Taisez-vous. Ne me parlez pas … Voyons, Salomé, il faut être raisonnable, n’est-ce pas ? Salomé, je vous ai toujours aimée … Peut-être je vous ai trop aimée. Ainsi, ne me demandez pas cela. La tête d’un homme décapité, n’est-ce pas, c’est une chose laide ? Ecoutez-moi un instant. J’ai une émeraude. C’est la plus grande émeraude du monde. N’est-ce pas que vous la voulez ? Demandez-moi cela et je vous le donnerai, la plus grande émeraude.
SaloméSalomé.
Je demande la tête d’Iokanaan.Je demande la tête d’Iokanaan.
HérodeHérode.
Vous ne m’écoutez pas, vous ne m’écoutez pas. Enfin, laissez-moi parler, Salomé !Vous ne m’écoutez pas, vous ne m’écoutez pas. Enfin, laissez-moi parler, Salomé.
SaloméSalomé.
La tête d’Iokanaan.La tête d’Iokanaan.
HérodeHérode.
Vous me dites cela seulement pour me faire de la peine, parce que je vous ai regardée toute la soirée. Votre beauté m’a terriblement troublé. Oh ! Oh ! du vin ! j’ai soif. Salomé. Salomé, soyons amis. Enfin ! voyez … Ah ! Qu’est-ce que je voulais dire ? Qu’est-ce que c’était ? Ah ! Je me souviens ! … Salomé, vous connaissez mes paons blancs, mes beaux paons blancs qui se promènent dans le jardin entre les myrtes. Il n’y a pas dans le monde d’oiseaux si merveilleux. Il n’y a aucun roi du monde qui possède des oiseaux aussi merveilleux. Je n’en ai que cent. Je vous les donnerai tous.Vous me dites cela seulement pour me faire de la peine, parce que je vous ai regardée toute la soirée. Votre beauté m’a terriblement troublé. Oh ! oh ! du vin ! j’ai soif. Salomé, Salomé, soyons amis. Enfin, voyez … Ah ! qu’est-ce que je voulais dire ? Qu’est-ce que c’était ? Ah ! je m’en souviens ! … Salomé, vous connaissez mes paons blancs, mes beaux paons blancs qui se promènent dans le jardin entre les myrtes. Il n’y a pas dans le monde d’oiseaux si merveilleux. Il n’y a aucun roi du monde qui possède des oiseaux aussi merveilleux. Je n’en ai que cent. Je vous les donnerai tous.
SaloméSalomé.
Donnez-moi la tête d’Iokanaan !Donnez-moi la tête d’Iokanaan.
HérodiasHérodias.
C’est bien dit, ma fille ! (à Hérode) Vous, vous êtes ridicule avec vos paons.C’est bien dit, ma fille ! Vous, vous êtes ridicule avec vos paons.
HérodeHérode.
Taisez-vous ! Vous criez toujours comme une bête de proie. Votre voix m’ennuie. Taisez-vous, je vous dis … Salomé, pensez à ce que vous faites. Cet homme vient peut-être de Dieu. Je suis sûr : c’est un saint homme. Le doigt de Dieu l’a touché. Eh bien ! Salomé, vous ne voulez pas qu’un malheur m’arrive ? Enfin, écoutez-moi !Taisez-vous. Vous criez toujours comme une bête de proie. Votre voix m’ennuie. Taisez-vous, je vous dis … Salomé, pensez à ce que vous faites. Cet homme vient peut-être de Dieu. Je suis sûr ; c’est un saint homme. Le doigt de Dieu l’a touché. Eh bien ! Salomé, vous ne voulez pas qu’un malheur m’arrive ? Enfin, écoutez-moi.
SaloméSalomé.
Donnez-moi la tête d’Iokanaan.Donnez-moi la tête d’Iokanaan.
HérodeHérode.
Ah ! Vous voyez, vous ne m’écoutez pas. Soyez calme. Moi, je suis très calme. Écoutez : (à voix basse, secrètement) J’ai des bijoux cachés ici que même votre mère n’a jamais vus, des bijoux tout à fait extraordinaires. J’ai un collier de perles à quatre rangs. J’ai des topazes jaunes comme les yeux des tigres, des topazes roses comme les yeux des pigeons, des topazes vertes comme les yeux des chats. J’ai des opales qui brûlent toujours avec une flamme qui est très froide. Je vous les donnerai tous, mais tous. (toujours plus excité) Moi, j’ai des chrysolithes et des béryls, j’ai des chrysoprases et des rubis. J’ai des sardonyx et des hyacinthes et des calcédoines. Je vous les donnerai tous, mais tous, et j’ajouterai d’autres choses. J’ai un cristal qu’il n’est pas permis aux femmes de voir. Dans un coffret de nacre j’ai trois turquoises merveilleuses. Quand on les porte sur le front on peut imaginer des choses qui n’existent pas. Ce sont des trésors de grande valeur. Enfin, que veux-tu, Salomé ? Je te donnerai tout ce que tu demanderas, sauf une chose. Je te donnerai tout ce que je possède, sauf une vie. Je te donnerai le manteau du grand-prêtre. Je te donnerai le voile du sanctuaire …Ah ! vous voyez, vous ne m’écoutez pas. Soyez calme. Moi, je suis très calme. Ecoutez : J’ai des bijoux cachés ici que même votre mère n’a jamais vus, des bijoux tout à fait extraordinaires. J’ai un collier de perles à quatre rangs. J’ai des topazes jaunes comme les yeux des tigres, des topazes roses comme les yeux des pigeons, des topazes vertes comme les yeux des chats. J’ai des opales qui brûlent toujours avec une flamme qui est très froide. Je vous les donnerai tous, mais tous[.] (toujours plus excité) Moi, j’ai des chrysolithes et des béryls, j’ai des chrysoprases et des rubis. J’ai des sardonyx et des hyacinthes, et des calcédoines. Je vous les donnerai tous, mais tous, et j’ajouterai d’autres choses. J’ai un cristal qu’il n’est pas permis aux femmes de voir. Dans un coffret de nacre j’ai trois turquoises merveilleuses. Quand on les porte sur le front, on peut imaginer des choses qui n’existent pas. Ce sont des trésors de grande valeur. Enfin, que veux-tu, Salomé ? Je te donnerai tout ce que tu demanderas, sauf une chose. Je te donnerai tout ce que je possède, sauf une vie. Je te donnerai le manteau du grand prêtre. Je te donnerai le voile du sanctuaire.
Les JuifsLes Juifs.
Oh, oh, oh !Oh ! Oh ! Oh !
SaloméSalomé
(féroce)(féroce).
Donnez-moi la tête d’Iokanaan.Donnez-moi la tête d’Iokanaan.
Hérode
(épuisé s’affaissant sur son siège).
(Hérode s’affaissant sur son siège)
Hérode
(épuisé)
Qu’on lui donne ce qu’elle demande ! C’est bien la fille de sa mère.Qu’on lui donne ce qu’elle demande ! C’est bien la fille de sa mère !
(Hérodias prend de la main du tétrarque la bague de la mort et la donne au premier soldat qui l’apporte immédiatement au bourreau.)(Hérodias prend de la main du tétrarque la bague de la mort et la donne au premier soldat qui l’apporte immédiatement au bourreau.)
Hérode
Qui a pris ma bague ?Qui a pris ma bague ?
(Le bourreau descend dans la citerne.)(Le bourreau descend dans la citerne.)
Hérode
(presque parlé)
Il y avait une bague à ma main droite. Qui a bu mon vin ? Il y avait du vin dans ma coupe. Elle était pleine de vin ! Quelqu’un l’a bu ? Oh ! Je suis sûr qu’il va arriver un malheur à quelqu’un.Il y avait une bague à ma main droite. Qui a bu mon vin ? Il y avait du vin dans ma coupe. Elle était pleine de vin. Quelqu’un l’a bu ? Oh ! je suis sûr qu’il va arriver un malheur à quelqu’un.
HérodiasHérodias.
Je trouve que ma fille a bien fait.Je trouve que ma fille a bien fait.
HérodeHérode.
Je suis sûr qu’il va arriver un malheur.Je suis sûr qu’il va arriver un malheur.
SaloméSalomé
(Elle se penche sur la citerne et écoute.)(elle se penche sur la citerne et écoute).
Il n’y a pas de bruit. Je n’entends rien. Pourquoi ne crie-t-il pas, cet homme ? Ah ! Si quelqu’un cherchait à me tuer, je crierais, je me débattrais, je ne voudrais pas souffrir … Frappe, frappe, Naaman. Frappe, je te dis. Non, je n’entends rien. Il y a un silence affreux ! Ah ! quelque chose est tombée par terre. J’ai entendu quelque chose tomber. C’était l’épée du bourreau. Il a peur[,] cet esclave. Il a laissé tomber son épée. Il n’ose pas le tuer. C’est un lâche, cet esclave ! Il faut envoyer des soldats.Il n’y a pas de bruit. Je n’entends rien. Pourquoi ne crie-t-il pas cet homme ? Ah ! si quelqu’un cherchait à me tuer, je crierais, je me débattrais, je ne voudrais pas souffrir … Frappe, frappe, Naaman. Frappe, je te dis … Non, je n’entends rien. Il y a un silence affreux. Ah ! quelque chose est tombé par terre. J’ai entendu quelque chose tomber. C’était l’épée du bourreau. Il a peur, cet esclave ! Il a laissé tomber son épée. Il n’ose pas le tuer. C’est un lâche, cet esclave ! Il faut envoyer des soldats.
(Elle voit le page d’Hérodias et s’adresse à lui.)(Elle voit le page d’Hérodias et s’adresse à lui.)
Viens ici ! Tu as été l’ami de celui qui est mort, n’est-ce pas ? Eh bien, il n’y a pas eu assez de morts. Dites aux soldats qu’ils descendent et m’apportent ce que je demande. Ce que le tétrarque m’a promis, ce qui m’appartient.Viens ici. Tu as été l’ami de celui qui est mort, n’est-ce pas ? Eh bien, il n’y a pas eu assez de morts. Dites aux soldats qu’ils descendent et m’apportent ce que je demande, ce que le tétrarque m’a promis, ce qui m’appartient.
(Le page recule.) (Elle s’adresse aux soldats.)(Le page recule. Elle s’-adresse [sic] aux soldats.)
Venez ici, soldats. Descendez dans cette citerne et apportez-moi la tête de cet homme.Venez ici, soldats. Descendez dans cette citerne, et apportez-moi la tête de cet homme.
(Les soldats reculent.)(Les soldats reculent.)
Tétrarque, tétrarque, commandez à vos soldats d’apporter la tête d’Iokanaan.Tétrarque, tétrarque, commandez à vos soldats d’apporter la tête d’Iokanaan.
(Un grand bras noir, le bras du bourreau, sort de la citerne portant sur un bouclier d’argent la tête d’Iokanaan.)(Un grand bras noir, le bras du bourreau, sort de la citerne portant sur un bouclier d’argent la tête d’Iokanaan.
(Salomé la saisit. Hérode se cache le visage avec son manteau. Hérodias sourit et s’évente. Les Nazaréens s’agenouillent et commencent à prier.) Hérode se cache le visage avec son manteau. Hérodias sourit et s’évente. Les Nazaréens s’agenouillent et commencent à prier. Salomé saisit la tête.)
Ah ! tu n’as pas voulu me laisser baiser ta bouche, Iokanaan. Eh bien ! je la baiserai maintenant. Je la mordrai avec mes dents. Je la mordrai avec mes dents comme on mord un fruit mûr. Oui, je baiserai ta bouche, Iokanaan. Je te l’ai dit, n’est-ce pas ? Je te l’ai dit. Ah ! Ah ! Je la baiserai maintenant. Mais pourquoi ne me regardes-tu pas, Iokanaan ? Tes yeux si terribles, si pleins de colère et de mépris, ils sont fermés maintenant. Pourquoi sont-ils fermés ? Ouvre tes yeux ! Soulève tes paupières, Iokanaan. Pourquoi ne me regardes-tu pas ? As-tu peur de moi, Iokanaan, que tu ne veux pas me regarder ? … Et ta langue[,] elle ne remue plus, Iokanaan, cette vipère rouge qui a vomi son venin sur moi. C’est étrange, n’est-ce pas ? Comment se fait-il que la vipère rouge ne remue plus ? Tu m’as traitée comme une courtisane … moi, Salomé, la fille de Hérodias, princesse de Judée. Eh bien ! Moi, je vis encore, mais toi, tu es mort et ta tête[,] ta tête m’appartient. Je puis en faire ce que je veux. Je puis la jeter aux chiens et aux oiseaux de l’air. Ce que laisseront les chiens[,] les oiseaux de l’air mangeront [sic] … Ah ! Ah ! Iokanaan, Iokanaan, tu étais beau. Ton corps était une colonne d’ivoire sur un socle d’argent. C’était un jardin plein de colombes et de lis, de lis d’argent. Rien au monde aussi [sic] blanc que ton corps. Rien au monde aussi [sic] noir que tes cheveux. Dans le monde tout entier il n’y avait rien aussi [sic] rouge que ta bouche … Ta voix était un encensoir qui répandait d’étranges parfums, et quand je te regardais j’entendais une musique étrange. Oh ! Pourquoi ne m’as-tu pas regardée, Iokanaan ? Tu as mis sur tes yeux le bandeau de celui qui veut voir son Dieu. Eh bien ! tu l’as vu, ton Dieu, Iokanaan. Mais moi, moi, moi […] tu ne m’as jamais vue. Si tu m’avais vue, tu m’aurais aimée. J’ai soif de ta beauté. J’ai faim de ton corps. Et ni le vin, ni les fruits ne peuvent apaiser mon désir. Que ferai-je maintenant, Iokanaan ? … Ni les fleuves, ni les grandes eaux ne pourraient éteindre ma passion. Ah ! Pourquoi ne m’as-tu pas regardée ? Si tu m’avais regardée, tu m’aurais aimée. Je sais bien que tu m’aurais aimée, et le mystère de l’amour est plus grand que le mystère de la mort …Ah ! tu n’as pas voulu me laisser baiser ta bouche, Iokanaan. Eh bien ! je la baiserai maintenant. Je la mordrai avec mes dents. Je la mordrai avec mes dents comme on mord un fruit mûr. Oui, je baiserai ta bouche, Iokanaan. Je te l’ai dit, n’est-ce pas ? je te l’ai dit ? Ah ! Ah ! Je la baiserai maintenant … Mais pourquoi ne me regardes-tu pas, Iokanaan ? Tes yeux si terribles, si pleins de colère et de mépris, ils sont fermés maintenant. Pourquoi sont-ils fermés ? Ouvre tes yeux ! Soulève tes paupières, Iokanaan. Pourquoi ne me regardes-tu pas ? As-tu peur de moi, Iokanaan, que tu ne veux pas me regarder ? … Et ta langue, elle ne remue plus, Iokanaan, cette vipère rouge qui a vomi son venin sur moi. C’est étrange, n’est-ce pas ? Comment se fait-il que la vipère rouge ne remue plus ? Tu m’as traitée comme une courtisane, moi, Salomé, la fille d’Hérodias, Princesse de Judée ! Eh bien , Iokanaan, moi je vis encore, mais toi tu es mort et ta tête, ta tête m’appartient. Je puis en faire ce que je veux. Je puis la jeter aux chiens et aux oiseaux de l’air. Ce que laisseront les chiens, les oiseaux de l’air le mangeront … Ah ! Ah ! Iokanaan, Iokanaan, tu étais beau. Ton corps était une colonne d’ivoire sur un socle d’argent. C’était un jardin plein de colombes et de lis, de lis d’argent. Rien aussi [sic] blanc que ton corps, rien n’était aussi [sic] noir que tes cheveux. Dans le monde tout entier il n’y avait rien d’aussi rouge que ta bouche. Ta voix était un encensoir qui répandait d’étranges parfums, et quand je te regardais, j’entendais une musique étrange ! Oh ! pourquoi ne m’as-tu pas regardée, Iokanaan ? Tu as mis sur tes yeux le bandeau de celui qui veut voir son Dieu. Eh bien ! tu l’as vu, ton Dieu, Iokanaan, mais moi, moi  tu ne m’as jamais vue. Si tu m’avais vue, tu m’aurais aimée. J’ai soif de ta beauté. J’ai faim de ton corps. Et ni le vin, ni les fruits ne peuvent apaiser mon désir. Que ferai-je, maintenant, Iokanaan ? … Ni les fleuves ni les grandes eaux, ne pourraient éteindre ma passion. Ah ! pourquoi ne m’as-tu pas regardée ? Si tu m’avais regardée, tu m’aurais aimée. Je sais bien que tu m’aurais aimée, et le mystère de l’amour est plus grand que le mystère de la mort.
HérodeHérode
(à voix basse à Hérodias)(à voix basse à Hérodias).
Elle est monstrueuse, ta fille, elle est tout à fait monstrueuse.Elle est monstrueuse, ta fille, elle est tout à fait monstrueuse.
HérodiasHérodias.
J’approuve ce que ma fille a fait, et je veux rester ici maintenant.J’approuve ce que ma fille a fait, et je veux rester ici maintenant.
HérodeHérode.
Ah ! l’épouse incestueuse qui parle ! Viens ! Je ne veux pas rester ici.Ah ! l’épouse incestueuse qui parle ! Viens ! Je ne veux pas rester ici.
(violent)(Violent.)
Viens[,] je te dis ! Je suis sûr qu’il va arriver un malheur. Cachons-nous dans notre palais. Hérodias, je commence à avoir peur.Viens, je te dis. Je suis sûr qu’il va arriver un malheur. Cachons-nous dans notre palais, Hérodias. Je commence à avoir peur.
(Un grand nuage noir passe sur la lune et la cache complètement.)(Un grand nuage noir passe sur la lune et la cache complètement.)
HérodeHérode.
Manassé, Issachar, Ozias, éteignez les flambeaux. Cachez la lune, cachez les étoiles !Manassé, Issachar, Ozias, éteignez les flambeaux. Cachez la lune, cachez les étoiles.
(La scène devient tout à fait sombre.)(La scène devient tout à fait sombre.)
Il va arriver un malheur.Il va arriver un malheur.
SaloméSalomé
(épuisée)(épuisée)
Ah ! J’ai baisé ta bouche, Iokanaan. Ah ! j’ai baisé ta bouche. Il y avait une âcre saveur sur tes lèvres. Était-ce la saveur du sang ? Mais peut-être est-ce la saveur de l’amour. On dit que l’amour a une âcre saveur. Mais qu’importe ? Qu’importe ? J’ai baisé ta bouche, Iokanaan. J’ai baisé ta bouche, Iokanaan.Ah ! j’ai baisé ta bouche, Iokanaan. Ah ! j’ai baisé ta bouche. Il y avait une âcre saveur sur tes lèvres. Etait-ce la saveur du sang ? … Mais peut-être, est-ce la saveur de l’amour. On dit que l’amour a une âcre saveur … Mais, qu’importe ? Qu’importe ? J’ai baisé ta bouche, Iokanaan ; j’ai baisé ta bouche, Iokanaan.
(Un rayon de lune tombe sur Salomé et l’éclaire.)(Un rayon de lune tombe sur Salomé et l’éclaire.)
HérodeHérode
(se retournant et voyant Salomé)(se retournant et voyant Salomé).
Tuez cette femme.Tuez cette femme !
(Les soldats s’élancent et écrasent sous leurs boucliers Salomé.)(Les soldats s’élancent et écrasent Salomé sous leurs boucliers.)
verantwortlich für diesen Datensatz: Claudia Heine

Quellennachweis

Edierter Gesangstext
Richard Strauss: Salome op. 54: Weitere Fassungen: Französische Fassung und Dresdner Retouchen von 1929, hrsg. von Claudia Heine, Wien: Verlag Dr. Richard Strauss 2021 (= Richard Strauss Werke. Kritische Ausgabe, I/3b)
Textvorlage
Oscar Wilde: Salome: Drame en un Acte. Paris: Librairie de l’Art Indépendant und London: Elkin Mathews et John Lane 1893 (Bibliothèque nationale de France, Signatur RES P‑YF‑105, verwendetes Digitalisat: NUMM‑114969, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k114969s)
Textbuch
Salome: Drame Musicale en un Acte. Poëme de Oscar Wilde. Musique de Richard Strauss, London: Methuen & Co und Berlin: Adolph Fürstner 1907 (La Monnaie Brüssel, Signatur 18064, TLIB 28)

Zitierempfehlung

Richard Strauss Werke. Kritische Ausgabe – Online-Plattform, richard‑strauss‑ausgabe.de/t10701 (Version 2021‑09‑29).