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Brief
Romain Rolland an Richard Strauss
Dienstag, 14. Mai 1907 – Mittwoch, 15. Mai 1907, Paris (ws.)

relevant für die veröffentlichten Bände: I/3a Salome, I/3b Salome (Weitere Fassungen)

[1r]

Mon cher ami

Si je ne vous ai pas vu encore, c’est que j’étais remué de tant d’émotions tumultueuses et diverses, après une première audition de votre Salomé, que je ne voulais pas vous en parler, avant de l’avoir réentendue. – Je me demandais d’ailleurs un peu si c’était la peine de parler. Aucune critique ne peut apprendre grand chose à un artiste aussi maître de soi, aussi conscient que vous. Mais comme je sais que vous avez souvent témoigné de l’intérêt a connaître ce que je pensais, je me décide à vous communiquer ces réflexions amicales, que je vous prie de lire avec indulgence.


Votre œuvre est un météore, dont la puissance et l’éclat s’impose à tous, même à ceux qui ne l’aiment pas. Elle a subjugué le public. Elle a eu raison même de certaines anti[1v]pathies de nature. J’ai vu un musicien français connu, qui la haïssait, mais qui venait l’entendre pour la troisième ou quatrième fois : il ne pouvait s’en dégager ; il grondait, mais il était pris. Je ne crois pas qu’on puisse voir une preuve plus manifeste de votre force. Cette force est, pour moi, la plus grande de l’Europe musicale d’aujourd’hui.

Permettez-moi maintenant de regretter qu’elle se dépense dans des poèmes inférieurs. Salomé d’Oscar Wilde n’était pas digne de vous. Ce n’est pas que je fasse à cette pièce l’injure de la mettre au rang de la plupart des poèmes de drames lyriques modernes, – en particulier, de ceux de d’Indy, qui sont de solennelles niaiseries, ou de cette Arianne de Maeterlinck-Dukas, dont le symbolisme est somnifère. […] En dépit des mièvreries prétentieuses du style, il y a dans le poème de Wilde une puissance dramatique incontestable ; mais l’atmosphère en est écœurante et fade : cela sue le vice et la littérature. Ce n’est pas là une question de morale bourgeoise, c’est [2r] une question de santé. Les mêmes passions peuvent être saines ou malsaines, selon les artistes qui les éprouvent, et les personnages qui les incarnent. L’inceste de la Walküre est mille fois plus sain que l’amour conjugal et légal dans telle sale comédie parisienne, que je ne veux pas nommer. – La Salomé de Wilde et tous ceux qui l’entourent, sauf cette brute de Iokanaan, sont des êtres malsains, malpropres, hystériques ou alcooliques, puant la corruption mondaine et parfumée. – Vous avez beau transfigurer votre sujet, en centupler l’énergie, et l’envelopper d’une atmosphère shakespearienne, – vous avez beau prêter à votre Salomé des accents émouvants : vous dépassez votre sujet, mais vous ne pouvez pas le faire oublier.

Je crains – (pardonnez-moi si je me trompe) – que vous ne subissiez le mirage de la littérature décadente d’Allemagne. Quel que soit le talent de ces poètes, – (je ne veux pas faire ici de personnalités), – il y a entre eux et vous la [2v] différence des artistes qui sont grands (ou illustres) dans un temps (une mode), – et de celui qui est – qui doit être grand dans les temps.

Evidemment, il faut être de son temps, et refléter les passions de son temps. – Mais quoi ! est-ce que Shakespeare n’est pas aussi de notre temps ? Est-ce qu’il n’en est pas davantage que Wilde, – ou tel autre de sa sorte ? – Je vous parle de Shakespeare, parceque [sic] je pensais à lui, en entendant votre Salomé. Vous avez dépensé là une puissance de passion frénétique, capable de remplir le Roi Lear. Et je me disais : »Pourquoi n’est-ce pas le Roi Lear ? Quel Roi Lear Strauss pourrait écrire ! On n’aurait jamais rien vu de pareil.«

Vous aimez par[‑]dessus tout la force. Et je l’aime aussi par[‑]dessus tout. – Toutefois, ne dédaignez pas trop une autre puissance : celle de la sympathie. Il y a des forces qui brûlent. Il y en a d’autres qui fécondent, – qui communiquent et qui inspirent l’amour. Dans la Domestica, dans Tod und Verklärung, dans Heldenleben, il [3r] y avait ces forces bienfaisantes. Dans Salomé, il me semble qu’elles n’y sont plus, malgré la pitié que vous vous efforcez d’avoir et de faire sentir pour votre triste héroïne. Prenez garde à vos poètes : ils n’ont pas la large puissance de sympathie, qui est l’apanage des plus grands artistes, et qui est une des principales causes de la durée des grandes œuvres. – Certainement, il y a des génies qui n’inspirent que l’admiration. Mais ils n’ont pas l’universalité et la quasi-éternité de ceux qui inspirent à la fois l’admiration et l’amour. Beethoven n’est si grand, si universellement […], que parce q tout ce qu’il fait de bien, avec sa force prodigieuse.


Autre chose :

Je sais l’amour que vous avez pour le théâtre. Vous avez toujours souhaité d’écrire pour le théâtre, m’avez-vous dit jadis ; et vos symphonies dramatiques ne vous étaient en quelque sorte qu’un pis-aller, faute d’avoir le théâtre à votre [3v] 2disposition. – Vous l’avez à présent. Vous l’avez conquis, conquis d’une façon définitive, et non pas seulement parcequ’en fait Salomé a réussi : la victoire est bien plus complète encore : Salomé n’ [?]est la preuve que vous pouvez maintenant écrire, quand vous voudrez, des d’autres œuvres qui auront la même force et la même fortune : vous vous êtes rendu maître de l’art dramatico-musical, vous savez les moyens de subjuguer le public ; en dehors de v vous avez acquis cette maîtrise spéciale de la scène, cette entente de l’effet dramatique, qui est souvent refusée aux plus grands musiciens.

– Et malgré cela, je me demande si la musique gagne autant que le théâtre à cette victoire. L’impression que j’ai de vous – (je me trompe peut-être) – c’est que vous êtes essentiellement lyrique. Vous ne sentez d’une façon géniale que votre propre personnalité (et tout ce qui lui ressemble, de près ou de loin). Comme vous avez, en outre de votre génie, une intelligence et une volonté très grandes, vous êtes toujours capable de comprendre les autres passions etou les [4r] autres caractères, et de les exprimer, – mais du dehors, – sans les sentir à fond, pour votre compte. Exemple : Iokanaan. J’ai l’impression très nette, que vous n’avez jamais pas éprouvé, à aucun degré, la foi du sauvage pPrécurseur. Vous l’avez pourtant représenté d’une façon juste et forte, – mais un peu abstraite, et sans accent vraiment personnel. Cet état d’esprit vous amène même parfois à accueillir certaines mélodies douteuses, qui produisent bien l’effet dramatique que vous voulez, mais qui ne sont certes pas l’expression des passions réelles, que vous avez à exprimer. C’est sans doute que vous ne les avez pas réellement éprouvées.

Notez que je sais très bien que ce n’est pas là un défaut pour le public de théâtre. Il faut, – pour plaire à ces milliers de gens réunis ensemble, qui ont tant de différences entre eux, – il faut une vérité et un sentiment qui soient comme une moyenne entre les vérités multiples et les sentiments variés de tous ces êtres. Il faut que les passions et les [4v] caractères soient subordonnés à l’effet dramatique in abstracto. Ç’a été le secret du succès triomphal de tant d certains opéras du siècle dernier, qui, a défaut de génie musical, réalisaient cet idéal dramatique impersonnel, et ce don spécial de l’effet.

Vous êtes, je crois, à l’heure qu’il est, le seul musicien capable en Europe d’exercer cette domination sur la foule des théâtres, – et non pas seulement d’Allemagne, – mais de tous les pays. Ce n’est pas peu de chose. Mais le danger, c’est que cela [?]cette victoire risque de s’obtenir aux dépens des qualités les plus personnelles de votre génie, et en subordonnant votre puissant lyrisme intérieur à la représentation objective d’un monde extérieur, que vous pour lequel vous n’avez peut-être pas une très chaude sympathie. Quand vous parlez en votre propre nom, comme dans la Domestica, ou dans Heldenleben, vous atteignez à une […]intensité et à une plénitude de sentiment et d’expression incomparable. Quand vous parlez au nom d’Hérode, ou de St Jean, vous faites une œuvre […]vigoureusement bâtie, mais vous [5r] 3ne dites pas – à mon sens – de choses éternelles. Ce qui me semble le plus intense dans Salomé (toute la fin du drame, depuis l’attente de la »décollation« de St Jean), – c’est encore ce qui est le plus votre reflet, – cette prodigieuse tension nerveuse, qui est si caractéristique de votre génie : ce n’est pas le meilleur, le plus pur de vous.


En résumé,

1o Salomé me semble la plus puissante de vos œuvres dramatiques.

2o Salomé me semble la plus puissante des œuvres dramatico-musicales d’aujourd’hui.

3o Vous valez mieux que Salomé.

Vous avez triomphé de l’Europe musicale de notre temps. Maintenant, sortez de notre Europe, élevez-vous au[‑]dessus. Il y a dans le monde européen d’aujourd’hui une pr[…] force effrénée de décadence, de suicide – (sous des formes variées, i [?] en Allemagne, en France) – gardez-vous d’assimiler votre cause à la sienne. Laissez mourir ce qui doit mourir, – et vivez.


[5v] J’ai honte d’avoir parlé si longuement et d’une façon si indiscrète. Ne m’en veuillez pas. Ne voyez dans […]cette lettre que mona […] joie de vous savoir très grand, et mon désir de vous voir plus grand encore[.]

Affectueusement à vous
Romain Rolland

162 boulevard Montparnasse

Je ne vous dis rien de votre orchestration. Il n’y a qu’une voix là[‑]dessus : c’est un miracle artistique.

[6r]

Cette lettre était écrite, quand j’ai reçu le mot de Marnold me transmettant le désir que vous avez de causer avec moi. Je vous l’envoie tout de même : car je ne pourrais, dans notre entretien, vous parler de tout cela.

Ne voudriez-vous pas, que nous nous réunissions, une fois, vous, moi [?] Debussy, Louis Laloz (qui est un des plus intelligents critiques musicaux de Paris, et le directeur d’une grande revue musicale), et moi. Il n’y aurait personne autre. Ce serait tout intime et sans façons. On se réunirait (soit à déjeuner, soit à dîner, soit après dîner), le jour que vous voudrez : dans un restaurant, ou une brasserie, près de chez vous, – à votre gré. (Voulez-vous me répondre un mot à ce sujet.)

Mais il ne faut pas que cela vous ennuie, ni vous fatigue. Avant tout, [6v] soignez-vous bien. Je suis peiné de vous savoir souffrant.


Tout ce que vous me dites de vos impressions sur Paris m’amuse et m’intéresse beaucoup ; car elles sont entiè [?] complètement d’accord avec celles du héros de mon roman, – un Alle mu jeune musicien allemand, qui, dans le prochain volume que j’écris à présent, arrive à Paris, où il est forcé de vivre. Je serai bien content d’en causer encore avec vous.


Bemerkung

Der Brieftext ist vollständig in lateinischer Schrift verfasst.

verantwortlich für die Edition dieses Dokuments: Claudia Heine

Quellennachweis

  • Original: Richard-Strauss-Archiv (Garmisch-Partenkirchen), Signatur: [ROMAIN ROLLAND, o. Nr.] (Autograph) (Transkriptionsgrundlage)

    • Hände:

      • Romain Rolland (handschriftlich)
    • Autopsie: 2016-11-15

    • Reproduktionen:

      • Bayerische Staatsbibliothek (München), Signatur: Ana 330.III.Rolland, Nr. 16

        • Autopsie: 2019-11-26

Bibliographie (Auswahl)

  • Übersetzung in Romain Rolland / Richard Strauss / Maria Hülle-Keeding (Hrsg.), Richard Strauss - Romain Rolland: Briefwechsel und Tagebuchnotizen. Einleitung von Gustave Samazeuilh (= Veröffentlichungen der Richard-Strauss-Gesellschaft München, Bd. 13), Berlin, 1994, S. 116–120.
  • Edition in Romain Rolland / Richard Strauss / Gustave Samazeuilh (Hrsg.), Richard Strauss et Romain Rolland.: Correspondance. Fragments de Journal. Avant-propos de Gustave Samazeuilh (= Cahiers Romain Rolland, Bd. 3), Paris, 1951, S. 86–91.

Zitierempfehlung

Richard Strauss Werke. Kritische Ausgabe – Online-Plattform, richard‑strauss‑ausgabe.de/d04533 (Version 2021‑09‑29).

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