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C. T.
»La première de Salomé à la Monnaie«
in: La Dernière Heure. Le plus grand journal belge, le mieux renseigné, Jg. 2, Heft 84, Dienstag, 26. März 1907, Rubrik »CHRONIQUE THÉATRALE«, S. [6]

relevant für die veröffentlichten Bände: I/3b Salome (Weitere Fassungen)
La première de SALOMÉ à la Monnaie

D’après l’étude publiée par Maurice Kufferath dans le Guide musical,1 nous avons essayé de donner une idée du drame d’Oscar Wilde et du livret dont s’est inspiré Richard Strauss*. Si subtile qu’en soit la donnée décadente et malsaine, il est beaucoup plus difficile d’analyser avec quelque précision la partition de Richard Strauss, une partition où la tonalité se dérobe à chaque mesure, il s’en faut de bien peu, une partition où les raffinements harmoniques, brochant sur les complications de rythme et sur l’acuité des timbres, donnent l’idée d’une sorte d’hyperesthétique compliquée d’hyperesthésie. Mais si étrange au premier abord que soit le parti-pris adopté par le compositeur, le plan de sa partition dérive rationnellement du thème passionnel qui se développe dans le texte et de la morbidité psychophysique que le poète s’est complu à fouiller.

Que ce poète qu’on grandit à plaisir ait cherché une sorte de volupté dans l’analyse d’un cas historique peut-être, hystérique assurément, et par lui choisi parce qu’il y découvrait quelque chose de lui-même, c’est tout simple, parce que très ressemblant, encore que cela déroute quelque peu les naïfs qui ne sont pas du bâtiment. De sa prédilection singulière pour les déviations, voire les inversions, de la passion amoureuse, il a donné des preuves encore plus sensibles dans sa vie, cet auteur dont M. Georges Eekhoud** cite cet aphorisme tragique : « On ne paie jamais trop cher une sensation. »2 Le fait est que, s’il en collectionne d’étranges, il les a largement et rudement payées. Paix à sa cendre !

Que Richard Strauss, en quête d’un livret, ait précisément choisi celui-là, c’est plus étrange, il nous sera permis de le dire, mais il convient d’ajouter aussitôt que, le sujet adopté, il était impossible de l’exposer avec plus de franchise, tout en le réalisant avec plus d’art, sinon même de poésie.

Né à Munich en 1864, fils d’un musicien de la chapelle royale, Richard Strauss n’avait pas 17 ans que déjà sa première symphonie était exécutée sous la direction d’Hermann Levi, le capellmeister qui, un an après, étrennait à Bayreuth le Parsifal de Richard Wagner. Cinq ans plus tard, il était troisième chef d’orchestre à Munich, où il ne tardait pas à passer premier. Il est maintenant capellmeister en chef à l’Opéra de Berlin : et, tout en dirigeant, il n’a cessé de composer. Son œuvre est déjà considérable. Il a écrit des lieder qui ne sont calqués ni sur Schubert ni sur Schumann, des œuvres de musique de chambre qui ne pastichent ni Brahms, ni Puckner [sic], des poèmes symphoniques qui se distinguent de Berlioz et de Liszt sans désavouer ni l’un ni l’autre. Sa Sinfonia domestica l’a placé au premier rang des maitres de la symphonie allemande dont il continue la tradition tout en l’émancipant. De même, sa partition de Salomé – sa première œuvre de théâtre, au moins à notre connaissance – le rattache à l’école wagnérienne, sans y asservir jusqu’à la superstition son incontestable individualité musicale.

Même en son Tristan, la plus fouillée de ses partitions, s’il en use librement avec la mélodie et le rythme, et s’il impose à l’orchestre des exigences légitimées d’ailleurs par les progrès de la technique instrumentale, Richard Wagner domine tout par son génie poétique, créateur de personnalités qui ne doivent rien qu’à lui, maître des dieux et des hommes, insufflant sa propre vitalité aux êtres parfois chimériques qu’il imagine : et, des efforts de compréhension qu’il impose tant à ses interprètes qu’à ses auditeurs, se rattrapant par de larges coulées d’inspiration irrésistible, par de grands partis-pris qui entraînent les foules et imposent silence à toutes les discussions, à toutes les querelles.

Cette méthode, si c’en est une, est précisément le contrepied du style que requérait irrésistiblement le drame d’Oscar Wilde. A une situation insolite, comment adapter sans même parler des formes traditionnelles, un style quelque peu soutenu, qui ne cherchât pas la petite bête et se préoccupât d’élévation et de noblesse ? Que faire de tout cela pour caractériser le tétrarque Hérode, ce tyran lâche, ce voluptueux aveuli ; sa femme Hérodias, une ambitieuse, une incestueuse  ; et surtout, la Salomé, cette fleur de vice ingénu, née du crime, vivant pour le crime, mourant par le crime ? A la bonne heure, Jokanaan, le saint, le prophète, le martyr. Le voilà, le contraste espéré, il est superbe et le compositeur n’a pas manqué de le caractériser à grands traits, en vigueur et en hauteur, pour l’opposer aux raffinements malsains de Salomé et de ses curiosités innocemment coupables. Certes, ses récits manquent de séduction, mais ils expriment toute l’énergie de sa haine pour la gent quasi-royale qu’il vient de flétrir et maudire au nom du Très-Haut et du Messie imminent dont il n’est, lui, que le dernier prophète.

Déjà cette antithèse est marquée par Richard Strauss de traits sauvages, puissants et grandioses. Mais les moments essentiels de l’ouvrage, et surtout du point de vue musical, sont l’épisode de la danse de Salomé et son grand récit final ; le premier, merveilleuse page d’orchestre, synthèse des rythmes et des timbres dont se colore toute l’âme de volupté qui pénètre le drame ; le second, grand récit dramatique où se résument les désirs inconnus, les illusions déçues, les espoirs erronés, les rêves passionnels qui ont abouti au crime et au châtiment.

Pour réaliser la danse de Salomé, il a fallu recourir à la chorégraphie de Mlle Boni, l’interprète chantante de Salomé, Mme Charles Mazarin, ayant trop à dire pour exécuter, avant son récit final, une pantomime aussi ardente et mouvementée, que celle qu’elle accorde au vœu lubrique de son beau-père. La substitution s’est accomplie à merveille et si lestement qu’on n’y eût vu que du feu, si l’affiche n’avait trahi le secret de la mise en scène. Et la danseuse a dessiné son pas en véritable artiste.

Le rôle de Salomé est écrasant. C’est toute la vie du drame, c’en est toute la séduction et toute l’horreur, l’attraction et la répulsion, la vie et la mort. On devine ce qu’il faut de talent, de sensibilité et de tact pour ne pas forcer les nuances infinitésimales de diction dont se complique le dessin d’une telle figure. Mme Charles Mazarin s’y est montrée supérieure à elle-même. Nous l’avions admirée dans la Prise de Troie, personnifiant Cassandre. À cette création linéaire donnerait-elle le pendant tumultueux que requiert Salomé ? Elle l’a donné, et cette création, redoutable, lui fait le plus grand honneur.

Qui a vu M. Petit en Pelléas, ne le reconnaîtra certes pas sous les traits de Jokanaan. Il y est sauvage à souhait, des pieds à la tête, ascète orageux et vengeur, crachant son vade retro avec un mépris furieux, avec de hautaines malédictions. Sa première apparition est déjà tout un tableau, son premier récit tout un poème. Jokanaan après Pelléas, voilà ce qu’on peut appeler de véritables créations !

Mme Laffitte dessine majestueusement la figure altière d’Hérodiade. Le tétrarque à demi gâteux qu’est Hérode imposait à M. Swolfs une tâche épineuse dont il s’est acquitté avec beaucoup d’adresse et de tact ; l’acteur a fait de grands progrès depuis son entrée à la Monnaie.

Enfin il n’est pas un petit rôle qui ne soit tenu avec un soin extrême. Et c’est un véritable régal d’art qu’achèvent les costumes qui se groupent dans le décor unique, un tableau d’histoire, s’il en fût.

*Ainsi que nous l’avons dit déjà, le drame du poète anglais, écrit par lui en langue française, fut représenté au Théâtre du Parc, il y a plusieurs années, avec Lina Munte, dans le rôle principal. La partition avec le texte français et la traduction italienne, a paru à Berlin, chez l’éditeur Adolf Fürstner. [Originalanmerkung].
**Eventail du 24 mars. [Originalanmerkung].
1Maurice Kufferath: »Salome«, in: Le Guide Musical, 17.03.1907, S. 207–211 und 24.03.1907, S. 227–229, Edition: richard-strauss-edition.de/b44189 sowie: richard-strauss-edition.de/b44195
2Vgl.: Georges Eekhoud, »Théâtre royal de la Monnaie: Salomé«, in: L’Éventail: Théatral, Artistique et Mondain, 24. März 1907, Edition: richard-strauss-ausgabe.de/b45295.
verantwortlich für die Edition dieses Dokuments: Claudia Heine

Zitierempfehlung

Richard Strauss Werke. Kritische Ausgabe – Online-Plattform, richard‑strauss‑ausgabe.de/b45384 (Version 2021‑09‑29).

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