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J. d’A.
»Théâtre de la Monnaie. Salome, drame musical en un acte de M. Richard Strauss, poème d’Oscar Wilde«
in: La Chronique. Gazette quotidienne, Jg. 40, Heft 83, Brüssel, Dienstag, 26. März 1907, S. [3]

relevant für die veröffentlichten Bände: I/3b Salome (Weitere Fassungen)
Théatre de la Monnaie
« Salomé », drame musical en un acte de M. Richard Strauss, poème d’Oscar Wilde.

Pas d’ouverture. On entre brusquement dans l’action – et l’on en sort de même d’ailleurs : quelques mesures d’orchestre, brutales, soulignant la péripétie finale, l’écrasement de Salomé sous les boucliers des soldats.

Elle est exquise cette première scène ; cela ressemble au théâtre de Maeterlinck. Nous sommes sur la terrasse de la forteresse de Machœrous décrite par Flaubert.

A gauche, un escalier monumental accédant à la porte principale du palais, large ouverte, et qui mène à la salle du festin, où sont réunis les convives du tétrarque. Les bruits de la fête transpirent au dehors. Vers la droite, la citerne aux margelles de bronze qui sert de prison au prophète Jokanaan. Au fond, le paysage de Judée se déploie, avec ses collines sèches où le crépuscule met des teintes violettes. Le disque éclatant de la lune apparaît au-dessus de la ligne d’horizon, dans l’azur pâle.

Des soldats de garde à la citerne ; sur les marches de l’escalier, un officier syrien et un page ; le rideau levé, un simple murmure de l’orchestre amène cette exclamation du jeune capitaine, dont le regard se tourne sans cesse vers la salle du festin : « Comme la princesse Salomé est belle ce soir! » Le page, au bas de l’escalier, lui répond : « Regardez la lune. Elle a l’air très étrange. On dirait une femme qui sort d’un tombeau. » Et l’autre : « Elle ressemble à une princesse qui a des pieds comme des petites colombes blanches. On dirait qu’elle danse. »

***

Il est à remarquer que tout le monde, au cours de cette action tragique, donne son opinion sur la lune – et cette opinion varie, naturellement, selon l’état d’âme des personnages qui l’expriment. Le page, craintif, a l’appréhension de la mort qui plane, et l’officier syrien se consume d’amour pour Salomé. Celle-ci, échappée de l’orgie qui l’obsède et la dégoûte, et cherchant un refuge dans la douce mélancolie du soir, va donner également sur l’astre de la nuit, une appréciation conforme à sa propre mentalité : « On dirait une toute petite fleur d’argent, froide et chaste. Elle a la beauté d’une vierge … Je suis sûre qu’elle est vierge … »

Le tétrarque, qui a bien dîné et rêve de tout autre chose que de chasteté, sera d’un tout autre avis en regardant la lune à son tour : « On dirait une femme hystérique qui va chercher des amants partout … N’est-ce pas qu’elle ressemble à une femme ivre ? … »

Et Hérodias, personne positive et sans poésie, clôt le débat : « Mais non. La lune ressemble à la lune. Voilà tout. »

***

Mais poursuivons le brief exposé du drame : On entend le vacarme du festin et la dispute des juifs invités du tétrarque ; les soldats devisent ; le capitaine continue son amoureuse contemplation et le page ses observations décourageantes. Soudain, de la citerne, la voix caverneuse du prophète monte dans la nuit. Elle annonce la venue du Messie et dit des choses que les soldats ne comprennent pas ... Enfin, Salomé apparaît. Elle est seule. Elle a fui la table du festin ; elle vient chercher un peu de calme à l’air frais. Et, comme la voix austère de Jokanaan se fait entendre de nouveau, elle interroge les gardes : « Qui parle ainsi ? » On lui répond : « C’est le prophète. » Elle le croit un vieillard ; on lui apprend que c’est un jeune homme. Elle veut le voir, refuse de retourner au festin, insiste, malgré les ordres du tétrarque qu’on lui oppose, et finit par triompher. Le prophète[…] apparaît, vomissant l’anathème. « Il est terrible », dit la jeune fille. Et, soudainement attirée vers cet être bizarre, farouche, superbe en son ascétisme, au corps blanc comme l’ivoire, à la chevelure sombre comme l’ébène, elle lui clame son amour. Le mangeur de sauterelles lui répond par des paroles d’injure et de mépris et la renvoie à Jésus, qui prêche en Galilée, le seul homme qui puisse lui faire rémission de ses péchés. Elle ne comprend pas : « Est-il aussi beau que toi ? … » C’est lui qu’elle veut : « Je baiserai ta bouche, Jokanaan ! … ».

A ce moment, le jeune capitaine, désespéré, se tue. Mais les yeux de Salomé ne se détournent même pas ; ils suivent le prophète qui redescend dans sa prison souterraine en lui jetant une dernière malédiction.

Les convives sortent. Hérode est agité et troublé. Son pied glisse dans le sang du capitaine ; de noirs présages hantent son ivresse ; il veut se distraire, boire encore ; il réclame Salomé, restée accroupie près de la citerne, accablée sous le poids de l’amour implacable qui s’est brusquement emparé d’elle ; il lui fait vainement diverses propositions séductrices.

Et la voix grave du précurseur recommence à vibrer dans la nuit, excitant la fureur d’Hérodias et jetant l’émoi dans l’assemblée, où d’aigres discussions s’élèvent parmi les juifs.

Deux Nazaréens viennent attester les miracles de Jésus, celui qu’annonce Jokanaan, et leur voix, résonne avec ampleur et gravité, contrastant, avec les clameurs confuses et discordantes des gens de Jérusalem. La voix se tait. Hérode, pour chasser les impressions lugubres, demande à Salomé de danser. Elle s’y refuse d’abord, encouragée par Hérodias, toujours attentive à contrarier les désirs de son époux. Puis, comme le tétrarque insiste jusqu’à lui promettre sous serment tout ce qu’elle demandera, elle finit par céder : la passion qui la subjugue lui a inspiré une idée vraiment tragique : elle demandera la tête de Jokanaan : alors, elle pourra lui donner le baiser promis. La danse merveilleuse achevée, Hérode essaie vainement de lui faire abandonner cette idée fixe en lui offrant tous les trésors dont il dispose, toutes les pierres précieuses qu’il tient cachées – tout, jusqu’au manteau du grand-prêtre et jusqu’au voile du sanctuaire (ce qui scandalise les juifs présents). A toutes ces adjurations, la jeune fille n’a qu’une réponse, de plus en plus décidée, de plus en plus énergique : « Donnez-moi la tête de Jokanaan ! » Cette tête, elle la veut ; c’est désormais l’unique objet de sa convoitise : inconsciente de tout ce qui l’entoure, indifférente aux impressions de l’entourage, ne connaissant plus rien, ne voyant plus rien que cette tête passionnément désirée, elle va vers elle, se penche sur la citerne, où le bourreau, sur l’ordre arraché à Hérode, est descendu ; elle trouve que la sinistre besogne ne se fait pas assez vite : elle gourmande le bourreau, qui paraît faiblir et hésiter, excite les soldats à l’aider ; sa voix devient de plus en plus impérieuse. Enfin, après une attente angoissante, un bras noir apparaît ; il élève la tête sur un bouclier d’argent qu’elle saisit.

Alors, au milieu d’une horreur qui va grandissant, tandis que les lumières s’éteignent, que le ciel se voile, que les spectateurs éperdus disparaissent un à un dans l’intérieur du palais, se déroule cette scène finale, scène effroyable où l’énamourée, en possession de l’objet conroité [sic], demande à cette tête coupée l’assouvissement de sa passion : « Oui, je baiserai ta bouche, je te l’ai dit, n’est-ce pas ? … Je la mordrai avec mes dents comme on mord un fruit … » Hélas ! la bouche est morte, les yeux sont fermés, la bouche est muette ; c’est au néant que s’adressent ces élans furieux, cette frénésie d’amour : plus rien ne répond. Pourquoi ? … Et le désespoir s’exhale avec les regrets ; plus rien maintenant ne pourra éteindre le feu qui la dévore : pourquoi l’homme vivant n’a-t-il pas répondu à l’amour qui s’offrait ?… Il n’a pas voulu la regarder ; s’il l’avait regardée, il l’aurait aimée, elle le sait … Et la plainte finit ainsi : « Le mystère de l’amour est plus grand que le mystère de la mort ! »

A cet instant de suprême détresse, l’horreur ambiante est à son comble ; Hérode, révolté et terrorisé, détournant la tête, veut entraîner Hérodias dans le palais, tandis que Salomé, pâmée sur la dépouille sanglante, dans un paroxysme de passion, lui donne le baiser promis. Et le dénouement tragique tombe comme un couperet. Le tétrarque crie aux soldats : « Tuez cette femme ! » Les soldats se précipitent, écrasent Salomé sous leurs boucliers.

***

Sur ce poème terrifiant – lequel, faut-il le répéter ? n’a de commun avec l’ « Hérodias » de Flaubert que le thème fourni par la légende biblique, les personnages essentiels et le lieu de la scène, – Richard Strauss a écrit une partition de la plus haute valeur. M. Maurice Kufferath, dont je citais l’autre jour la belle étude, publiée dans le « Guide musical »,1 de cette œuvre où la facture du drame lyrique atteint des proportions vraiment étonnantes, établit nettement le double caractère des thèmes qui la dominent : ceux qui s’attachent à la personne de Salomé et ceux qui s’attachent à la personne de Jokanaan ; les premiers aux rythmes capricieux et aux harmonies dissonantes, les seconds, aux harmonies consonantes, exprible, l’inspiration prophétique alliée à la douceur évangélique.

Entre ces deux groupes de thèmes propres aux deux personnages principaux, « tout un ensemble curieux de motifs secondaires de naturel pittoresque ou de signification caractéristiques s’enchâssent dans la trame orchestrale et séparent entre elles les trois grandes scènes capitales » : l’entrevue de Salomé et de Iokanaan, la scène de la danse et la scène finale.

Dans cette composition admirable le musicien a fait preuve d’une prodigieuse maîtrise et réalisé une polyphonie d’une puissance, d’une complication, d’une couleur, d’un effet de sonorité inégalés jusqu’ici. Jamais l’accumulation d’instruments de timbres variés n’avait été aussi loin[,] et toutes les ressources de ce formidable orchestre, où les différents groupes d’instruments se trouvent encore divisés de façon à produire un maximum de polyphonie, sont employées avec une habileté, une science, un art si parfaits [sic] que, en dépit des heurts harmoniques, des complications rythmiques, de l’enchevêtrement des dessins mélodiques, l’expression et la charpente musicales, apparaissent, la première en toute sa clarté, la seconde en toute sa solidité.

Des pages symphoniques de premier ordre viennent s’intercaler dans l’action et en souligner les émouvantes péripéties : l’ascension du prophète captif sortant de la citerne à l’appel de Salomé sa rentrée dans l’ombre de la prison, enfin l’intermède de la « Danse des sept voiles », le morceau capital, où se condense en une merveilleuse synthèse, en un tableau d’une expression intense, d’un coloris vivace, d’un charme exquis, toute l’essence du drame.

On a eu l’heureuse idée de demander le concours de Mme Boni pour mimer cette scène et l’heureuse fortune de l’obtenir. Impossible d’y mettre plus de légèreté, de grâce séduisante, de sentiment dramatique. C’est l’interprétation parfaite d’un chef-d’œuvre, – deux conditions qu’il nous est arrivé rarement de voir réunies. La substitution de la danseuse à la cantatrice – et vice-versa la danse finie – habilement préparée et rendue possible grâce à la similitude de costumes et de coiffures, – s’accomplit très bien, de façon à sauver les apparences.

***

Que dire de la psychologie du poème ? C’est un peu délicat. Rédemption, je le veux bien. C’est aussi l’avis de Strauss. Il y a vu cela. En sa qualité d’honnête musicien allemand et de continuateur des traditions wagnériennes, il ne pouvait guère y voir autre chose. Il a bâti son édifice musical sur cette idée [rédemptrice] dont l’auteur de la tétralogie de « Tristan », de « Parsifal », fut l’illustre protagoniste. Soit.

Mais Wilde ? … C’est ici que j’hésite un peu. Je ne vois pas bien le poète anglais dans ce rôle, et son héroïne, femelle écrasée comme un animal venimeux, livrée à un brusque trépas expiatoire par ce brave bourgeois d’Hérode, jouisseur et timoré, m’apparaît plutôt comme la victime sacrifiée aux exigences de ce que j’appellerai discrètement la philosophie uraniste (Heine, dans le voyage au Harz, parlait de la philosophie horizontale). N’insistons pas. D’autant plus que c’est l’œuvre musicale qui est surtout à apprécier ici et que nous n’avons pas à examiner de trop près ses rapports intimes avec le thème littéraire qui lui fut fourni.

***

L’interprétation est à louer presque sans réserves ; la mise en scène très belle et portant ce cachet de recherche artistique, de fidélité historique ou archéologique dont le théâtre de la Monnaie est coutumier. Le décor, cette terrasse du palais de Machœrous dominant le paysage de Judée, près de la mer Morte, est des plus réussi, et les clartés lunaires y jouent merveilleusement. Les costumes sont délicieux[;] à noter le groupe des cinq juifs, dont la dispute religieuse, traitée par le musicien avec un art supérieur et une habileté consommée, produit une apparente cacophonie d’un effet très drôle au milieu de la gravité tragique.

Le rôle écrasant – dans toute la force du terme ! – de Salomé est tenu par Mme Mazarin avec la même supériorité qu’elle apporta dans l’interprétation de la Cassandre de Berlioz. Son accent passionné, son organe vibrant, son jeu dramatique concourent heureusement à donner au personnage son allure et son caractère.

[Iokanaan] a trouvé en M. Petit une incarnation des plus satisfaisantes. L’accent est énergique, l’allure, le geste, l’expression, conformes au type légendaire.

M. Swolfs chante et joue excellemment le rôle d’Hérode.

Hérodias, c’est Mme Laffitte, – rôle assez effacé, cette Filcka syrienne ne s’occupant guère que de contrarier son époux.

Les rôles secondaires sont également bien tenus par M. Nandès (Narraboth), Mlle De Bolle (le page), M. Vallier (le Nazaréen à l’organe vibrant), MM. Belhomme, François, Dognies et Dua (les cinq juifs), MM. Danlée et Dister (les deux soldats).

Quant à l’exécution orchestrale, on peut dire qu’elle est un véritable triomphe pour M. Sylvain Dupuis, qui s’est dépensé, à cette occasion, avec un rare dévouement et a en [?] raison de difficultés sans précédent. Les complications harmoniques et rythmiques de cette partition dépassent tout ce que la musique dramatique nous a offert jusqu’ici. L’effet qui se dégage de l’ensemble doit être saisissant d’expression et d’unité. L’orchestre, sous la conduite énergique de son chef, a parfaitement résolu le problème.

1Maurice Kufferath: »Salomé«, in: Le Guide musical (53/11), 17.03.1907, S. 207–211 sowie (53/12), 24.03.1907, S. 227–229, Edition siehe: richard-strauss-ausgabe.de/b44189 sowie richard-strauss-ausgabe.de/b44195.

Bemerkung

Fehlende Leerzeichen vor Fragezeichen, Semikolon, Ausrufezeichen und Doppelpunkt wurden in vorliegender Transkription bei Bedarf stillschweigend ergänzt.

verantwortlich für die Edition dieses Dokuments: Claudia Heine

Zitierempfehlung

Richard Strauss Werke. Kritische Ausgabe – Online-Plattform, richard‑strauss‑ausgabe.de/b45313 (Version 2021‑09‑29).

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