Samedi dernier a eu lieu la reprise de Salomé. Comme à sa première apparition, la partition en a fortement intéressé l’auditoire par sa richesse de mélodies et par l’intérêt soutenu des formes techniques. Ayant entièrement analysé cette production de M. Richard Strauss dans un précédent compte rendu, nous n’avons plus à revenir sur ses mérites distinctifs ; c’est de l’exécution que nous avons seulement à parler, tout en signalant l’effet produit, cette fois encore, par certaines scènes de l’ouvrage.
Disons d’abord qu’il y a une nouvelle Salomé. Ce personnage principal du drame lyrique est pour la première fois représenté par Mme Friché, laquelle a été justement applaudie pour le timbre sonore de sa voix, pour la [parfaite] exécution technique, et la justesse de l’action scénique. Le rôle d’Hérode a [servi] de début à M. Martonelli, un jeune ténor italien, qui s’est avantageusement fait connaître dans des concerts à Paris et que la direction du Théâtre de la Monnaie a fort bien bait [sic] d’attacher à son personnel exécutant, si l’on en juge par l’impression qu’il a produite dans cette première apparition sur notre scène lyrique : sa voix est d’un timbre agréable et bien posée ; il a eu des nuances expressives dans les situations dramatiques et s’est montré comédien autant qu’il était nécessaire à un premier ténor qui, avant tout, doit se montrer un chanteur expérimenté.
Mme Laffitte a su donner de l’importance au rôle secondaire d’Hérodias par sa jolie voix et son chant bien coloré.
M. Petit a su se faire remarquer en représentant un personnage qui n’a guère qu’une scène importante et qu’il a su rendre intéressant.
Pour être juste, il y a encore à faire mention de MM. Galinier et Nandès, ainsi que de Mlles De Bolle et Aubry qui, dans des rôles de peu d’importance, ont su contribuer au bon ensemble de la représentation. N’oublions pas les jolis épisodes de danse, dans lesquels a brillé la gracieuse légèreté de Mlle Cerny.
Il n’y a qu’un acte à Salomé, mais il est fort long, avec des scènes de peu d’intérêt, qui ne servent qu’à faire ressortir le double talent de cantatrice et de comédienne de l’artiste chargée de l’animer, de le remplir. Il y a des morceaux d’ensemble auxquels prennent part des personnages qui n’ont pas de rôles importants dans la pièce ; mais on s’étonne que le compositeur n’ait pas fait intervenir des masses chorales, dont la participation eût été facilement justifiée dans le lieu où se passe l’action. En revanche, le travail de l’orchestre joue un rôle important dans l’ensemble de la composition non seulement par les accompagnements du chant, mais par des détails qui reçoivent de l’instrumentation tout leur intérêt.
La mise en scène a été particulièrement soignée, de manière à former de curieux tableaux. Voilà sur quoi on a compté pour offrir au public un spectacle digne de son attention. Il est possible seulement que ce ne soit pas là un résultat suffisant pour donner une complète satisfaction à l’auteur de la partition de Salomé.
Le spectacle avait commencé par une représentation du Maître de chapelle, fort bien joué et chanté par MM. Decléry et Dua, ainsi que par Mlle Eyreams, tous trois bien en voix et en bonnes dispositions de talent scénique. N’était-ce pas, de la part de la direction, une imprudence de faire entendre aux assistants cette musique de Paer, de facile inspiration, riche en mélodies et contenant des formes techniques naturellement conçues et d’un réel intérêt, avant de les mettre aux prises avec les laborieuses combinaisons de la riche et compliquée musique de Salomé, dont l’audition est plutôt un travail qu’une récréation. Ne dit-on pas que tous les goûts sont dans la nature ?